Affaire Grégory : l’enquête cible le « clan Laroche »
Affaire Grégory : l’enquête cible le « clan Laroche »
Par Patricia Jolly
Jacqueline et Marcel Jacob, grand-oncle et grand-tante du petit garçon assassiné il y a plus de trente ans, ont été présentés à un juge vendredi, en vue d’une mise en examen.
Jacqueline et Marcel Jacob, la grand-tante et le grand-oncle maternels de Grégory Villemin, retrouvé noyé dans la Vologne, pieds et poings liés, à l’âge de 4 ans, le 16 octobre 1984, ont été déferrés au parquet général de Dijon, vendredi 16 juin, pour être présentés à un juge d’instruction, en vue d’une mise en examen et d’un probable placement en détention. « Sauf à ce que Mme Jacob sorte de son mutisme et M. Jacob de son amnésie supposée, et qu’ils consentent à donner des réponses simples à des questions simples, l’hypothèse d’un mandat de dépôt est forte », a indiqué au Monde une source proche de l’enquête, vendredi matin.
Mercredi 14 juin, les gendarmes de la section de recherches de Dijon avaient placé les époux Jacob, tous deux âgés de 72 ans, en garde à vue, ainsi que Ginette Villemin, veuve de Michel Villemin, un oncle paternel de Grégory décédé en 2010. Ginette Villemin a été remise en liberté jeudi 15 juin en fin d’après-midi.
Après plus de trente-deux ans de procédure et de multiples rebondissements, l’enquête sur cette énigme vosgienne semble se réorienter vers le « clan Bernard Laroche », du nom d’un cousin germain de Jean-Marie Villemin – le père de Grégory –, dont les époux Jacob et Michel Villemin étaient très proches. Soupçonné de l’assassinat du petit garçon dès le début de l’enquête, Bernard Laroche avait été inculpé le 5 novembre 1984 avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire. Convaincu de sa culpabilité, Jean-Marie Villemin l’avait abattu le 29 mars 1985 d’un coup de fusil.
Différents « corbeaux »
Admettant lors d’une conférence de presse, jeudi 15 juin, que l’affaire n’est « pas résolue » et que l’assassin de Grégory n’est toujours pas identifié, le procureur général de Dijon, Jean-Jacques Bosc, a toutefois précisé que « les investigations montrent que plusieurs personnes ont concouru à la réalisation du crime ». « Quelques jours avant le passage à l’acte, des repérages et surveillances ont été réalisés, opérés par un homme portant une moustache et quelques fois accompagné d’une femme », a ajouté le magistrat.
Dans ce dossier où différents « corbeaux » ont joué un rôle majeur, les expertises récentes d’une lettre de menaces, manuscrite et anonyme, adressée en 1983 à Jean-Marie Villemin, orientent les soupçons sur Jacqueline Jacob. Des écrits retrouvés à son domicile aux fins de comparaison lors de la perquisition concomitante à son interpellation présentent des similitudes. Entendue en audition libre en raison de son grand âge et de son état de santé – tout comme son époux, Albert –, la grand-mère paternelle de Grégory, Monique Villemin, 86 ans, est, elle, soupçonnée d’être l’auteure d’une lettre de menaces adressé en 1989 au juge Maurice Simon, alors chargé de l’instruction. Un courrier qui visait à influer sur le cours de l’enquête en pointant du doigt les parents de Grégory.
De mai 1981 à juin 2017, toute l’affaire Grégory en quelques dates
Christine et Jean-Marie Villemin, les parents du petit Grégory, 4 ans, retrouvé noyé le 16 octobre 1984, pieds et poings liés dans la Vologne, sont assis, le 23 novembre 1984, à la table de leur salle à manger sur laquelle est posée une assiette à l’effigie de leur enfant. | ERIC FEFERBERG / AFP
De mai 1981 à mai 1983
Un mystérieux corbeau a harcelé Albert Villemin, le grand-père de Grégory, de centaines d’appels malveillants évoquant des secrets de famille.
16 octobre 1984
Le corbeau s’est ensuite tu, jusqu’au 16 octobre 1984 où, il a appelé Michel Villemin, oncle de Grégory, pour revendiquer l’assassinat du petit garçon moins d’une heure après sa disparition : « Je me suis vengé. J’ai pris le fils du “chef”. Je l’ai mis dans la Vologne. »
Grégory Villemin avait 4 ans et semblait assoupi quand les gendarmes ont repêché, vers 21 h 15, son petit corps vêtu d’un anorak bleu, pieds et poignets entravés par des cordelettes, plaqué contre un barrage de la Vologne, une rivière vosgienne.
Une lettre du corbeau arrivera le lendemain chez Jean-Marie Villemin, le père de Grégory : « J’espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con. »
5 novembre 1984
Bernard Laroche, cousin germain de Jean-Marie Villemin, est arrêté et inculpé du meurtre de son neveu, Grégory, sur la foi des déclarations de sa belle-sœur, Murielle Bolle, alors âgée de 15 ans. Un temps incarcéré, il est remis en liberté le 4 février 1985.
29 mars 1985
Vers 12 h 30, Jean-Marie Villemin, jeune contremaître de 26 ans, convaincu qu’il tenait là le responsable de la mort de son fils Grégory, tue d’un coup de fusil Bernard Laroche, 30 ans, contremaître, lui aussi, dans une entreprise de tissage.
5 juillet 1985
Alors que son mari est inculpé de l’assassinat de Bernard Laroche, Christine Villemin, la mère de Grégory, est elle-même désignée comme un possible corbeau par des expertises graphologiques. Elle est inculpée et incarcérée. Libérée onze jours plus tard sous contrôle judiciaire, elle a bénéficié le 3 février 1993 d’un non-lieu retentissant pour « absence totale de charges ».
16 décembre 1993
Jean-Marie Villemin est condamné à cinq ans d’emprisonnement, dont un avec sursis, pour l’assassinat de Bernard Laroche. Ayant purgé l’essentiel de sa peine en détention préventive, il est libéré deux semaines plus tard.
1999
L’affaire a été rouverte en 1999, puis en 2008, pour tenter de confondre d’hypothétiques traces d’ADN sur les scellés.
2004
En février, la dépouille de Grégory est exhumée du cimetière de Lépanges et incinérée à Epinal, le couple Villemin ayant conservé la moitié des cendres. En juin, l’Etat est condamné à verser à chacun des époux Villemin 35 000 euros pour dysfonctionnement de la justice. Aujourd’hui âgés de 56 et 58 ans, ils sont installés en région parisienne et ont trois autres enfants.
Décembre 2008
Devançant la prescription de l’affaire qui s’annonçait pour avril 2011, Jean-Marie et Christine Villemin obtiennent de la cour d’appel de Dijon la réouverture de l’enquête pour de nouvelles recherches d’ADN, après l’échec des précédentes menées en 2000-2001.
2010
Michel Villemin, oncle de Grégory et frère de Jean-Marie, meurt .
2013
La mise au jour de nouvelles traces d’ADN sur les cordelettes ayant servi à entraver le corps de l’enfant relance l’affaire. Mais le procureur général de la cour d’appel de Dijon, Jean-Marie Beney, avait ensuite annoncé que les analyses effectuées ne permettaient pas de mettre un nom sur les profils des ADN relevés.
14 juin 2017
Soupçonnés de complicité d’assassinat, de non-dénonciation de crime, de non-assistance à personne en danger et d’abstention volontaire d’empêcher un crime, Marcel Jacob, l’oncle maternel de Jean-Marie Villemin, et son épouse, Jacqueline, septuagénaires, sont interpellés dans le village d’Aumontzey (Vosges), tandis que Ginette Villemin, veuve de Michel Villemin, est interpellée à Arches, à moins de 30 km de là. De leur côté, les grands-parents paternels de Grégory, Monique et Albert Villemin, sont entendus à leur domicile comme simples témoins en raison de leur grand âge et de l’état de santé de Mme Villemin. Parallèlement, Murielle Bolle est convoquée à la gendarmerie de Bruyères (Vosges), où elle a fait l’objet d’un prélèvement ADN avant de ressortir libre.