CHRONIQUE. C’est une brève séquence du dessin animé Les Simpson : on y voit une séance de travail aux Nations unies (ONU), durant laquelle le représentant de la Fédération de Russie annonce le grand retour de l’Union soviétique (URSS). Transformées en gif animé, ces quelques images sont régulièrement utilisées en ligne pour se moquer des comportements autoritaristes de Moscou.

Mais le 30 mai, c’est le compte officiel de l’Ukraine – qui publie ­essentiellement des messages vantant l’attrait touristique ou économique du pays – qui l’a mise en ligne, en réponse à un message du compte officiel de la Russie vantant « l’histoire partagée des deux pays ». Une escarmouche publique sur les réseaux sociaux qui tranche avec le ton habituellement posé des déclarations de diplomates.

Ce n’est pas le seul exemple. Sur Twitter ­notamment, les Etats se lâchent, y compris les très mesurées démocraties du nord de l’Europe.

Le 30 mai toujours, on pouvait ainsi découvrir sur le compte officiel de la Norvège une photo des premiers ministres d’Europe du Nord tenant un ballon de football : une parodie évidente d’une photographie de ­Donald Trump lors de sa récente visite en Arabie saoudite, pour annoncer le lancement d’une initiative baptisée « Nordic Solutions ».

La Suède, elle, confie chaque semaine les clés de son compte Twitter à une personne différente – de simples citoyens qui se moquent régulièrement du président américain, notamment depuis que ce dernier a évoqué, le 19 février, une attaque terroriste sur le sol suédois qui n’a jamais eu lieu.

« Eléments de langage »

La « diplomatie du Tweet » ne date pas d’hier : dès 2014, en pleine invasion russe de la ­ Crimée, Etats-Unis et Russie échangeaient éléments de langage et arguments par le biais du réseau social.

Certains ambassadeurs en ont fait les frais, lorsque les messages publiés outrepassaient la ligne officielle de leur ministère – l’ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, a dû supprimer un message critique publié en novembre 2016 lors de l’élection de Donald Trump.

Mais ce n’est que plus récemment que des Etats aux pratiques diplomatiques très formelles se sont lancés dans ce qu’il faut bien appeler du « trolling », des messages intentionnellement provocants visant à susciter une controverse.

Et à ce petit jeu, c’est la Russie qui est de loin la plus impliquée. Notamment via son ambassade à Londres, qui publie régulièrement des messages utilisant tous les codes du Web pour se moquer du Royaume-Uni, des Etats-Unis ou de l’Union européenne, voire pour prendre directement à partie des personnalités ou des journalistes britanniques. Faut-il y voir une nouvelle stratégie diplomatique russe ? Plus généralement, les prémices d’une ère de la « diplomatie du troll » ?

Donald Trump, 31 millions d’abonnés sur Twitter

Seule certitude : ce dont vivent les trolls, sur les forums comme sur les réseaux, c’est de notre attention. « Nordic Solutions » serait probablement resté un projet diplomatique parmi des milliers d’autres si les dirigeants nord-européens n’avaient pas choisi de se moquer de Donald Trump. Et le très vindicatif compte de l’ambassade russe à Londres compte au moins dix fois plus d’abonnés que son beaucoup plus classique homologue francophone.

Bref, sur le Web, la diplomatie n’échappe pas non plus à l’une des règles fondamentales des espaces de discussion : « nourrir le troll », en lui répondant, en relayant ses messages, même pour s’en moquer, c’est l’encourager.

Et ce n’est probablement pas Donald Trump, avec ses 31 millions d’abonnés Twitter et ses provocations quotidiennes, y compris à l’encontre de pays alliés, qui dira le contraire.