Dans le quartier de Kensington, à Londres, le 17 juin. | TOLGA AKMEN / AFP

Editorial du « Monde ». Il y a des jours où Londres est la plus belle ville du monde. Elle est aussi l’une des plus riches, des plus cosmopolites, des plus créatives, attirant, du monde entier, fortunes et talents. Elle est fière et ouverte. Mais, ce mercredi 14 juin, au petit matin, Londres avait un autre visage.

C’était celui d’une tour de HLM en feu et de centaines de malheureux, hommes, femmes, enfants, tous pris au piège d’un bâtiment sans système anti-incendie adéquat, sautant dans le vide ou suffoquant, enfermés dans leurs appartements, jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’était le visage de l’injustice sociale la plus absolue, dickensienne, quand les pauvres n’ont pas droit à la sécurité physique dont bénéficient les riches.

On ne connaît pas encore la cause de l’incendie de la tour Grenfell. On ne sait même pas exactement combien de personnes ont péri dans le sinistre. Lundi 19 juin, on recensait 79 morts dans la population de la tour – majoritairement des immigrés. A l’horreur et à la stupeur devant pareille tragédie s’ajoutaient vite la colère et la rage : cette tour de HLM est située dans l’un des quartiers les plus riches de Londres, dans l’ouest de la ville, au pied de Notting Hill – un concentré géographique de fortunes locales et étrangères.

La base fiscale locale doit être solide. Pourtant, les habitants de la tour alertaient depuis des années : le bâtiment est dangereux, disaient-ils. Un revêtement récent de la façade semblait douteux. Les canalisations de gaz n’étaient pas protégées. Il n’y avait pas de dispositif anti-incendie. Aucune des autorités publiques sollicitées n’a jamais répondu, qu’il s’agisse des élus locaux ou de l’organisme de gestion des HLM.

Sécurité précaire

Déjà affaiblie par le résultat des élections générales du 8 juin, la première ministre conservatrice se voit reprocher, à tort ou à raison, un manque de compassion dans les heures qui ont suivi le drame. Mais Theresa May, la chef du Parti conservateur, subit aussi le procès de deux des dogmes de sa formation. Des années d’austérité budgétaire, et de coupes dans les budgets des pompiers, sont incriminées. L’obsession de la déréglementation est dénoncée, et notamment la stupidité de cette norme non écrite : pour toute nouvelle réglementation, il faudrait en supprimer trois. Grenfell est le procès du parti tory.

La réflexion doit aller au-delà de la capitale britannique. A intervalles réguliers, Paris connaît des incendies dans des hôtels ou des immeubles de fortune abritant des immigrés. Là aussi, la sécurité est précaire, là aussi il y a des morts. Nos villes, nos capitales européennes deviennent trop souvent des terres d’apartheid social. La classe moyenne a été chassée de Londres, comme elle l’est de Paris, mais à un moindre degré. Les services publics sont disposés à parts égales entre les habitants, quand il faudrait en doubler, tripler les dispositifs là où sont concentrées les populations défavorisées.

Pour le meilleur, et peut-être aussi pour le pire, le XXIe siècle, dit-on, sera celui des mégalopoles : emplois, culture, loisirs, services publics y seront concentrés. L’Europe n’y échappe pas. On réfléchit, ici et là, aux composantes d’une « smart city », de la ville intelligente. La première des caractéristiques d’une telle cité serait d’être un lieu de diversité sociale qui prenne en compte, de la manière la plus équitable possible, cette exigence élémentaire : la garantie de la sécurité physique.