Législatives : « Oui, ne pas voter a été une option politique »
Législatives : « Oui, ne pas voter a été une option politique »
Par Adrien Pécout
Des internautes ont expliqué au « Monde » les raisons pour lesquelles ils ont contribué à l’abstention record du second tour des élections législatives, dimanche 18 juin.
Dans la 7e circonscription de Seine-Saint-Denis, à Montreuil, dimanche 18 juin. | CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Le second tour des élections législatives ? Ce fut sans eux. De nombreux internautes ont répondu à l’appel à témoignages du Monde pour expliquer les raisons d’une abstention record (57,36 %), dimanche 18 juin, encore supérieure à celle du premier tour (50,3 %).
Pour beaucoup d’entre eux, ne pas se déplacer pour aller voter a tenu à « une offre politique insatisfaisante », pour reprendre les mots d’Emma Fabre. A 19 ans, l’étudiante avait voté au premier tour pour « une candidate de La France a des Elles », un mouvement citoyen « qui correspondait à [ses] convictions féministes ».
Mais au second tour, dans sa circonscription des Alpes-Maritimes, le duel entre La République en marche (LRM) et le Front national (FN) l’a refroidie. « Mon premier réflexe a été de me tourner vers la candidate LRM pour faire barrage au candidat FN. Toutefois, j’ai changé d’avis en milieu de semaine : je ne voulais pas donner ma voix à la candidate LRM, qui allait voter le projet de loi antiterroriste, normalisant l’état d’urgence ; projet de loi que je récuse. »
Lui aussi étudiant, Félix Dusseau, Bordelais de 29 ans, a tenu à « renforcer la défiance » à l’égard d’Emmanuel Macron et du mouvement de la majorité présidentielle, LRM. « Au premier tour des législatives, j’ai réellement eu le sentiment de faire entendre ma voix, d’avoir le choix d’exprimer mon opinion », explique celui qui avait auparavant voté pour La France insoumise. Au second tour, en revanche, il s’est décidé à « ne pas aller voter pour renforcer les chiffres de l’abstention et envoyer un message aux dirigeants politiques ». Car, selon lui :
« Avoir le choix entre la droite et la droite, ne pas avoir le sentiment d’être représenté et savoir que la majorité de LRM sera au final écrasante n’entrent pas dans mes conceptions de la démocratie. »
Le sentiment que l’élection était déjà jouée et que le mouvement du président Macron bénéficiait d’une trop large avance a également dissuadé Sally, 24 ans, à la recherche de son premier emploi. Dans sa circonscription de Haute-Savoie, cette électrice avait voté pour M. Macron à la présidentielle, puis pour un candidat se réclamant du président au premier tour des législatives « pour donner une majorité à l’Assemblée nationale ».
« A l’issue du premier tour, le candidat En marche ! de ma circonscription est arrivé largement en tête. Au vu de l’avance confortable du candidat de la majorité présidentielle, je n’ai pas jugé utile de me prononcer au second tour, d’autant plus que ce jour-là, il faisait beau, j’ai donc préféré aller me baigner », explique Sally.
Certains ont voulu aller plus loin dans leur contestation. Si Maxence V., étudiant lyonnais, s’est abstenu, c’est pour dire son « dégoût du régime présidentiel ». « Alors que l’Assemblée a si peu de pouvoir, sa stabilité tant vendue par le scrutin majoritaire a-t-elle encore un intérêt ? Un scrutin proportionnel donnerait une représentativité supérieure aux députés, et rapprocherait le politique du citoyen. Si je n’ai pas voté, c’est parce que ma voix, mon opinion n’a pas d’importance, parce que je n’ai pas l’influence que le scrutin proportionnel pourrait me donner. »
Le point commun entre ces abstentionnistes qui ont témoigné ? Ils veulent donner un sens à leur démarche. Au point, comme Henri, 71 ans, retraité vivant aux Ulis (Yvelines), de se déplacer jusqu’au bureau de vote pour finalement ne pas voter. « Aucun des deux candidats ne me convenait. Contrairement à la majorité des abstentionnistes, je me suis déplacé au bureau de vote et j’ai respecté le cheminement pour voter jusqu’au moment d’introduire l’enveloppe dans l’urne. J’ai exprimé alors mon choix de m’abstenir », justifie-t-il.
Mais à quoi bon avoir quand même fait le déplacement ? « Pour signifier que les abstentionnistes ne sont pas forcément des citoyens qui préfèrent aller à la pêche ou s’adonner pleinement à leur loisir préféré d’un dimanche ensoleillé. » Le retraité de l’Essonne dit également avoir choisi l’abstention parce que, selon lui, « les médias ne parlent que de l’abstention et non des votes nuls ou blancs ».
Non loin de là, « Souf », chef de projet résidant dans le Val-d’Oise, a également choisi l’abstention plutôt que le vote blanc. Plus radical, plus audible, selon ce Francilien de 34 ans : « Je me suis dit que le meilleur choix serait de laisser Macron gagner mais avec un faible taux de participation, pour qu’il comprenne au fond qu’il n’est soutenu que par les électeurs qui ont voté pour lui au premier tour. Le traitement médiatique qui a été fait du taux d’abstention me conforte dans mon choix de ne pas être allé voter. »
Se présentant comme « militant syndical [SUD Education] et enseignant », Laurent Le Gac, électeur de Saint-Brieuc, considère que « l’action politique et sociale, “citoyenne” si on veut, ne se limite pas à la démocratie représentative ». « Partisan de mandats contraignants, et révocables », ce Breton reconnaît avoir voté pour La France insoumise au premier tour : « Le choix du second tour était dramatiquement simple : En marche ! ou Parti socialiste. Pas question pour moi de voter ni pour l’un ni pour l’autre. »
D’où cette conclusion : « Alors oui, ne pas voter a été une option politique. »