TV : « Mildred Pierce », l’anti-Emma Bovary
TV : « Mildred Pierce », l’anti-Emma Bovary
Par Martine Delahaye
Notre choix du soir. Todd Haynes signe une adaptation moderne et nuancée du roman de James M. Cain, à mille lieus du mélodrame (sur OCS Go, à la demande).
Mildred Pierce Trailer #1 (HBO)
La minisérie Mildred Pierce, très élégamment adaptée du roman de James M. Cain par le réalisateur Todd Haynes, fait moins penser au grand film ultra-noir que Michael Curtiz réalisa à partir de ce roman, en 1945, qu’aux douces couleurs et belles ambiguïtés du long-métrage Carol. Long-métrage que Todd Haynes présenta en sélection officielle au Festival de Cannes en 2015, quatre ans après avoir tourné Mildred Pierce pour HBO.
Sorti en 1941, le roman donne corps à une femme de la classe moyenne, Mildred Pierce, passionnante en ce qu’elle incarne l’idéologie du rêve américain portée à sa plus terrible incandescence : toujours aller de l’avant, se relever sans cesse, afin de se hisser vers la classe sociale supérieure et voir ses enfants n’avoir plus que le ciel comme limite.
Si le roman se déroule sur quelque dix ans pendant la Grande Dépression causée par le krach de 1929 aux Etats-Unis, c’est un élément que Michael Curtiz gomme, dans son film, lui préférant un suspense reposant sur l’ombre d’un meurtre – ce film vaudra à Joan Crawford son (seul) Oscar, en 1946.
Kate Winslet | OCS
A l’inverse, découvrant ce roman pendant l’été 2008, alors même que les Etats-Unis sombraient dans l’immense crise financière due aux subprimes, Todd Haynes a décidé d’explorer aussi bien les effets de la Grande Dépression – en la filmant et l’éclairant de telle façon qu’elle fasse écho avec l’époque actuelle – que nombre de rebondissements du roman écartés par le film, dont la période finale, essentielle à la monstrueuse relation mère-fille qui se noue ici. Une telle adaptation supposait le format d’une minisérie (plus de cinq heures), que Todd Haynes a coécrite avec Jon Raymond.
Au vu des dix premières minutes de cette version télévisée, tout pouvait donner à penser, faute d’attention, que se tramait là un triste et glauque drame de la séparation : une femme au foyer (Kate Winslet) finit de confectionner un gâteau qu’on lui a commandé et ne sait si les 3 dollars qu’elle va en tirer doivent lui servir à acheter une côtelette de veau pour le dîner de son mari qui la trompe, ou, mieux, à faire plaisir aux deux yeux de sa vie, ses filles.
Terrible rapport mère-fille
Or, dès la première scène, ne supportant plus de subir les événements sans rien dire ni rien faire, Mildred demande à son mari de faire un choix – il prend la porte, ou, plutôt, elle lui enjoint de partir définitivement –, ce qui l’amène à intégrer, sans travail ni argent devant elle, « la plus grande armée du monde, le corps d’élite américain que l’on ne célèbre jamais le 4 juillet : la femme abandonnée, avec deux enfants à charge », comme le note sa voisine.
Mais Mildred Pierce n’a rien d’une Emma Bovary et n’entend pas un instant jouer le rôle de femme éplorée. A l’opposé, donc, du mélodrame pariant sur l’empathie avec son personnage principal et sur l’identification avec une femme en quête de moyens d’existence et de reconnaissance, le Mildred Pierce de Todd Haynes joue de la nuance, filme d’ambiguës transparences et écartèle le spectateur entre des faux reflets : cette mère, Mildred, n’est-elle pas un moteur qui tourne à vide ? Sa fille Vera n’a-t-elle reçu qu’aigreur, ressentiment et cruauté en héritage ?
Le fond bouleversant de cette histoire relevant sans doute d’une tragédie universelle : la peur panique de ne plus être aimé de son enfant. C’est en tout cas à la lecture d’un terrible et passionnant rapport mère-fille qu’invite ici Todd Haynes.
Mildred Pierce,minisérie adaptée et réalisée par Todd Haynes. Avec Kate Winslet, Guy Pearce, Evan Rachel Wood (EU, 2011, 5 × 60 min environ).