Tour de France : Les liaisons dangereuses du dynamiteur Fabio Aru
Tour de France : Les liaisons dangereuses du dynamiteur Fabio Aru
Par Clément Guillou (Envoyé spécial à Périgueux (Dordogne)
Le dauphin de Christopher Froome a été couvé par des personnalités du cyclisme italien pas étrangères au dopage
Fabio Aru lors de la 9e étape du Tour de France entre Nantua et Chambéry, le 9 juillet. REUTERS/Benoit Tessier | BENOIT TESSIER / REUTERS
Les deux grands yeux noirs qui trouent son visage ne disent rien. Lui, à peine plus. Ce n’est pas le lieu, devant une foule intimidante. La pièce nue d’un Campanile de Bergerac est trop petite pour les attentes qu’a levées Fabio Aru en deux attaques sur le Tour de France. Il prétend désormais à la victoire, à dix-huit secondes du maillot jaune, Christopher Froome.
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Jovial après son succès à la planche des Belles-Filles, au soir de la cinquième étape, Fabio Aru avait promis qu’on ne s’ennuierait pas avec lui : « J’ai toujours aimé donner quelque chose aux supporteurs, au public. Logiquement, quand je suis bien, je veux attaquer. » Le dynamiteur portait un maillot tricolore, vert-blanc-rouge, et Christopher Froome se jurait de ne plus en voir le dos. Le Britannique n’a jamais eu, dans le Tour, d’adversaire de cette espèce, imprévisible et sans complexe. « Une tête dure », dit-on dans son équipe Astana. Son corps d’os et les deux filins qui lui servent de jambes font frémir la concurrence : il est affûté. Très.
Ecoutes policières
Si Fabio Aru ne dit rien lui-même – et ce n’est pas faute d’intelligence –, son parcours parle pour lui : le vainqueur du Tour d’Espagne 2015 fait la synthèse des années noires du vélo italien. Ce fut peut-être malgré lui, au début. On ne choisit pas le visage des fées qui se penchent sur votre berceau. Mais les hasards malheureux se sont accumulés.
Comme le Sicilien Vincenzo Nibali, autre grimpeur incarnant la résurrection du cyclisme italien, Fabio Aru n’est pas né sur le continent. Villacidro, au nord de Cagliari, n’avait jamais produit de pédaleurs. La Sardaigne à peine davantage. Il doit la quitter à 18 ans, attiré en Lombardie par l’homme le plus controversé du cyclisme amateur transalpin : Olivano Locatelli. Au moment où le dopage gangrène les catégories de jeunes en Italie, au tournant des années 2000, les espoirs entraînés par Olivano Locatelli dans son équipe de Palazzago (au nord de Milan) noircissent leur palmarès. Grâce à son management dictatorial et ses exigences à l’entraînement ? Peut-être.
Derrière Richie Porte, Fabio Aru lors de la 9e étape entre Nantua et Chambéry. (AP Photo/Christophe Ena) | Christophe Ena / AP
Mais beaucoup de coureurs passés par son équipe seront plus tard convaincus de dopage, et l’entraîneur est brièvement incarcéré en 2003, après l’interception de conversations téléphoniques et une perquisition à son domicile. Il est soupçonné d’être impliqué dans un trafic de produits dopants et d’aider ses coureurs à échapper aux contrôles, mais ne sera pas condamné. Durant quatre ans (2009-2012), le vieil entraîneur fait de l’adolescent un coureur. Une période durant laquelle Olivano Locatelli, disent ses défenseurs, s’est assagi.
D’une couveuse l’autre, Fabio Aru atterrit chez Giuseppe Martinelli, directeur sportif d’Astana, qui le suit depuis plusieurs années. Autre homme-clé du cyclisme italien des dernières décennies, cette fois chez les professionnels. Trente ans de métier, cinq vainqueurs du Giro et deux du Tour de France entraînés. L’œuvre de sa vie : Marco Pantani, idole de Fabio Aru. Gilberto Simoni et Stefano Garzelli, d’autres de ses poulains, tombèrent aussi pour dopage. Giusepppe Martinelli, 62 ans, se décrit comme un « entraîneur à l’ancienne, mais ouvert au changement ». Il aime comparer Pantani et Aru, qu’il considère comme ses fils. Depuis que Vincenzo Nibali, son autre élève, a quitté Astana, le champion d’Italie est devenu son protégé le plus précieux.
Un cyclisme débridé
Dans la partie italienne de l’équipe Astana, le chef de clan est sicilien : Paolo Tiralongo, grimpeur quadragénaire, est le troisième mentor de Fabio Aru. Ce dernier était encore amateur que les deux hommes partageaient leurs premiers entraînements autour de Bergame. Un équipier modèle. Coureur modèle ? C’est moins sûr : dans des écoutes policières révélées par le quotidien La Repubblica en 2014, un coéquipier de Paolo Tiralongo le décrivait comme client du médecin Eufemiano Fuentes, à la tête d’un réseau de dopage sanguin démantelé en Espagne.
Depuis son passage chez les professionnels, en 2012, Fabio Aru fait confiance à l’équipe Astana, à laquelle une vague de coureurs positifs et la mise en évidence de dysfonctionnements internes faillit coûter sa licence en 2015. Son manageur omnipotent, le Kazakh Alexandre Vinokourov, prône un cyclisme débridé, dont il était un fier représentant, jusqu’à un contrôle positif aux transfusions sanguines en 2007.
Qu’a appris Fabio Aru, de cette formation auprès de figures controversées du cyclisme italien ? De la réponse à cette question dépend la crédibilité de ce Tour de France 2017.