TV : « Le Génie des lieux : l’ENS, l’école de l’engagement »
TV : « Le Génie des lieux : l’ENS, l’école de l’engagement »
Par Christine Rousseau
Notre choix du soir. Dans une passionnante série documentaire, Antoine de Gaudemar nous ouvre les portes de trois temples du savoir européens (sur Arte à 0 h 00)
ENS, ETH, LSE : derrière ce trio de sigles qui font briller les yeux de nombre d’étudiants se dissimulent trois des plus prestigieuses écoles européennes : l’Ecole normale supérieure de Paris, l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et la London School of Economics. Depuis des décennies, sinon des siècles pour la plus ancienne (Normale-Sup, créée en 1794), ces temples du savoir contribuent à former l’élite littéraire, philosophique, scientifique et économique de leur pays.
Incubateurs de grands penseurs
Chacune d’entre elles a compté dans ses rangs, comme élèves ou professeurs, des dizaines de Prix Nobel, de médaillés Fields ou de chefs de gouvernement : Louis Pasteur (1822-1895), Henri Bergson (1859-1941), Jean-Paul Sartre (1905-1980) ou Pierre-Gilles de Gennes (1932-2007) ont arpenté les couloirs de l’ENS ; Wilhelm Röntgen (1845-1923), Kurt Wüthrich (né en 1938) ou Albert Einstein (1879-1955), ceux de l’ETH ; John Fitzgerald Kennedy (1917-1963), Tony Blair (né en 1953) ou Romano Prodi (né en 1939), ceux de la LSE.
C’est accompagné de la doyenne de ces écoles que le journaliste Antoine de Gaudemar ouvre cette série de trois épisodes dont le titre résume bien la démarche, à savoir définir les particularités et l’esprit singulier voire paradoxal qui anime ces établissements : loin d’être des tours d’ivoire, ils sont résolument ouverts sur le monde, pour le penser et le comprendre.
Si la question de l’engagement éthique, moral ou politique traverse les trois volets, elle est particulièrement sensible dans celui consacré à l’ENS, dont l’histoire porte trace. Que l’on pense au bibliothécaire de la « Rue d’Ulm », Lucien Herr, qui, en 1897, la transforme en « citadelle dreyfusarde » ou, plus récemment, à Louis Althusser qui, dans les années 1960-1970, outre le fait d’y accueillir la psychanalyse avec Jacques Lacan, transforme l’ENS en haut lieu de la pensée marxiste. Aujourd’hui, cette tradition de l’engagement perdure sous d’autres formes, à l’image du « Programme étudiant invité (PEI) », mis en place en 2015 à l’initiative des élèves de l’ENS.
Entrée de l'Ecole Normale Supérieure | folamour
Ecole de l’engagement et de l’érudition, dont le caractère pluridisciplinaire a permis de faire éclore parmi les plus importants courants de pensée du XXe siècle (bourbakisme, existentialisme, structuralisme), la « Rue d’Ulm » s’est instituée à la fois comme « antichambre du pouvoir et incubateur de la critique de ce même pouvoir ». Un paradoxe critique que l’on retrouve à la LSE, qui n’a cessé d’être le lieu de virulents débats entre interventionnistes et tenants d’un libéralisme pur et dur, incarné notamment par le philosophe Friedrich Hayek, qui y enseigna peu avant que William Beveridge, théoricien de l’Etat-providence, ne dirige l’école. Néanmoins, même si le capitalisme a eu raison de la LSE, l’« usine à traders » a conservé son pluralisme de pensée à travers le recrutement d’un des plus virulents critiques du capitalisme : l’anthropologue David Graeber.
De la montagne Sainte-Geneviève à Paris jusqu’à la City de Londres, en passant par l’école du futur zurichoise où se pense l’avenir technologique et environnemental de la planète, cette série offre, au-delà de l’histoire des idées qu’elle dessine en creux, une vision revigorante de ces lieux de savoirs.
« Le Génie des lieux ». ENS, l’école de l’engagement à Paris, d’Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel (55 min).