A Wimbledon, on ne badine pas avec « The Queue »
A Wimbledon, on ne badine pas avec « The Queue »
Par Elisabeth Pineau (Londres, envoyée spéciale)
Une longue file d’attente, très réglementée, se forme dès l’aurore par les spectateurs en quête de billets. On y patiente des heures durant, y compris la nuit.
Des spectateurs en quête de billets dans « The Queue ». | BEN STANSALL / AFP
A Wimbledon, il est une pratique qui relève presque autant de la tradition que le port de la tenue blanche ou le gazon taillé au millimètre près. « The Queue ». La longue file d’attente formée dès l’aurore par les spectateurs en quête de billets pour la journée, y compris pour les courts principaux. Située dans un immense champ juste derrière le site du tournoi, on y patiente des heures durant, parfois y compris la nuit. Et parfois sous la pluie, comme en ce mercredi matin, où ils sont près de 5 000 à braver les bourrasques, blottis sous des K-way. Les jours de forte affluence, cela peut monter jusqu’à 10 000.
A son arrivée, chacun se voit remettre une queue card, un ticket daté et numéroté qui atteste de son placement dans la file. Et, selon qu’il pleut ou qu’il fait beau, un autocollant « I’ve queued in the rain » ou « I’ve queued in the sun ». La queue card ne garantit pas pour autant d’obtenir in fine un billet. Chaque jour, le All England Lawn Tennis and Croquet Club fixe des quotas, et lui seul décide de l’affluence.
Pizzas livrées sous les tentes
Il y a ceux qui patientent pour la journée et puis il y a les prévoyants, qui visent les jours d’après. Andy Heaney est arrivé de Manchester dimanche 9 juillet pour espérer se procurer un ticket pour la finale, qui se tiendra… une semaine plus tard. Assis sous sa tente bleue, le jeune homme de 26 ans, vêtu d’un tee-shirt et d’un short, grelotte un peu. Il a plu toute la nuit, mais cela ne l’a pas dissuadé de rester.
« Pourquoi je viens ici ? Parce que c’est tout simplement le tournoi le plus prestigieux au monde, celui que tous les joueurs veulent gagner », glisse-t-il dans un large sourire. C’est la deuxième fois qu’il patiente dans The Queue. La première fois, c’était en 2009. Il y avait passé une nuit pour obtenir des billets pour les courts annexes. « On m’avait indiqué qu’il n’y avait qu’une poignée de billets, voire un seul, pour la finale, alors j’ai décidé de maximiser mes chances en étant cette année le premier de la file. Même si au final, je prends le risque de ne pas avoir de billet du tout pour le match… » Les quatre derniers jours du tournoi, en effet, le club ne distribue plus de tickets pour la journée pour les courts principaux. La seule chance pour Andy est de compter sur le désistement d’un spectateur, qui revendrait sa place. Là encore, le club s’occupe de la revente officielle des billets.
Andy Heaney, 26 ans, est originaire de Manchester. Le jeune homme campe depuis dimanche pour espérer obtenir un ticket pour la finale.
Installés dans une rangée parallèle à celle du jour, Andy et ses voisins de camping se voient normalement priés de ranger leur tente à 6 heures du matin pour faire de la place aux futurs spectateurs de la journée. Aujourd’hui, exceptionnellement, ils peuvent rester à leur emplacement, le mauvais temps en a dissuadé beaucoup et la taille de la file est raisonnable.
« C’est comme un festival en fait. On sympathise avec nos voisins, on s’entraide et c’est parfaitement bien organisé, explique Andy. On peut aller prendre sa douche au yacht-club juste à côté, on a un stand de burgers et de hot-dogs pour se restaurer, et le Sainsbury’s est à dix minutes. Je suis même allé au pub d’à côté un soir. » Même les pizzas peuvent être livrées directement dans les tentes.
Dimanche, les spectateurs ont organisé un petit tournoi de tennis entre eux au milieu du champ. Toutefois, pour réglementer the queuing, un code de bonne conduite a été instauré. Le club se réserve ainsi le droit de refuser l’entrée du site à toute personne au « comportement déraisonnable ». Le guide distribué aux queuers précise qu’il est interdit de prendre la place de son voisin, de jouer de la musique ou de « s’adonner à des jeux de balle » après 22 heures. Les barbecues ne sont pas permis et seules les tentes de deux personnes au plus sont tolérées. De même qu’un seul sac ou bagage par personne est autorisé, aux dimensions aussi strictes que les bagages cabines. L’alcool est toléré mais tout abus ou toute personne en état d’ivresse « se verra confisquer sa queue card et sera exclue du site ».
Surveillance et contrôles
S’il est possible de s’absenter temporairement – pour se restaurer, recharger sa batterie de téléphone ou aller aux toilettes, par exemple, toute absence ne doit pas excéder trente minutes. Une équipe d’une trentaine de volontaires se relaie jour et nuit pour veiller à ce que ces règles soient respectées et contrôler les visiteurs. Des honory stewards, comme indiquent leurs brassards. Judy, qui préfère garder l’anonymat, est l’une d’entre eux. « Quand on effectue un contrôle et que la tente est vide de ses occupants, on relève la couleur de la tente, explique-t-elle. Il est interdit de s’absenter trop longtemps pour aller visiter des musées à Londres ou bien faire du shopping. »
#TheQueue again... #Wimbledon https://t.co/lUczZIhNaY
— ElisaPineau (@Elisa Pn)
La semaine dernière, les honory stewards ont exclu de la queue des personnes qui étaient revenues d’une virée à Oxford Street, les bras chargés de paquets. « On fait tout pour que le système soit le plus juste possible, soutient Judy. Pour nous, le plus important, c’est que les visiteurs gardent le bénéfice de l’ordre dans lequel ils sont arrivés. » Cela fait une douzaine d’années désormais que The Queue a pris ses quartiers dans un parc derrière le tournoi. « Auparavant, il y avait deux files sur le trottoir qui longe le club, raconte la bénévole, qui vient ici depuis dix ans. Mais ce n’était pas équitable, il y avait toujours une file qui allait plus vite que l’autre, et puis en termes de sécurité, cela posait problème. »
Pour passer le temps, Andy a emporté trois livres, les biographies de Rafael Nadal, du marin britannique Ben Ainslie, et du demi de mêlée australien George Gregan. Il discute aussi longuement avec ses voisins de tente, trois jeunes hommes de 25 ans originaires d’Ecosse et d’Epsom, au sud-ouest de Londres. Mardi, Andy a perdu le bénéfice de son rang en se procurant un billet pour les quarts de finale féminins, sur le Centre Court. Il a ainsi pu assister aux victoires de Venus Williams et de Johanna Konta. Hier soir, quand il est revenu dans le parc, il craignait d’être relégué loin dans la file. Mais la pluie battante avait dissuadé tous les autres campeurs. Sauf lui.