« Baby Driver » : un conducteur surdoué branché sur les tubes de l’été
« Baby Driver » : un conducteur surdoué branché sur les tubes de l’été
Par Isabelle Regnier
Le réalisateur Edgar Wright réussit un film charmant et désinvolte autour d’un jeune as du volant, mercenaire et amoureux.
Comme il y a des tubes de l’été, il y a des films dont la légèreté, le cool, la vibration sexy paraissent calibrés pour la belle saison. Avec le cocktail vieux comme le cinéma qu’il propose, tonique dosage de course-poursuites, de sentiments violents, de jeunes et jolis acteurs frais émoulus de leurs premiers pop-corn movies, soutenus par quelques vieilles stars au pedigree solide, Baby Driver est de ceux-là. Et sa bande originale savoureuse, modelée dans un bel éclectisme pop, ne nuit pas à l’affaire.
Argument premier du film, la musique est ce qui protège le jeune Baby (adorable Ansel Elgort, vu dans Nos Étoiles Contraires, et la saga Divergente) de la violence du monde, tout en exprimant ses états d’âme. Conducteur surdoué acoquiné malgré lui avec un parrain de la mafia qui l’emploie pour des braquages de haut vol, il ne quitte jamais ses écouteurs. Ni lorsqu’il conduit et que ses playlists viennent stimuler son adrénaline. Ni lorsqu’au moment du partage du butin il reste en retrait des conversations de ses complices, pour mieux enregistrer leurs voix sur un de ses nombreux appareils. Le soir il dérushe, mixe ces sons avec d’autres, consigne le tout sur de vieilles cassettes qui s’entassent dans les coins de sa chambre.
La musique comme aiguillon
Ce rapport solitaire, tendanciellement autiste à la musique, qui donne au film un je-ne-sais-quoi très en phase avec le temps présent, rattache le personnage à son enfance — et à la mort de ses parents, sous ses yeux, dans un accident de voiture alors qu’il écoutait son iPod pour recouvrir les insultes qu’ils se lançaient au visage l’instant d’avant. Depuis, il vit avec son tuteur, un vieux sourd-muet devenu impotent, dont il s’occupe avec dévotion.
Avec ce visage poupin que dissimulent mal ses lunettes d’aviateur, ses attitudes sexy et un peu hésitantes encore, d’ado pas tout à fait sorti de l’enfance, Baby est un gamin. Mais un gamin surdoué, déjà arrivé au stade du vieux gangster qui s’apprête à raccrocher les gants une fois accompli son dernier tour de piste, un dernier braquage pour rembourser la dette qui le lie à son patron. Après quoi il compte bien se ranger des voitures. Et, pourquoi pas, convoler avec la jolie serveuse du diner où il a ses habitudes (charmante Lily James), qui partage son amour de la route et de la musique pop.
Dans Baby Driver, il y a Drive, allusion claire au film du même nom. Et le film d’Edgar Wright, auteur du sympathique Scott Pilgrim, dans lequel s’exprimait déjà son amour de la prime adolescence et de la pop culture, s’assume comme une variation tendre et ludique autour de l’œuvre qui fit la gloire, en 2011, de Nicolas Winding Refn et de son acteur Ryan Gosling. Le premier reprend, de fait, tous les éléments du second : le conducteur infaillible, mercenaire et taiseux, le coup de foudre amoureux, la musique comme aiguillon de la mise en scène, une approche de l’image très graphique, tendant parfois vers l’abstraction (les plans de San Francisco au drone sont épatants)… Tout en retournant comme un gant l’esprit de sérieux dont Drive était confit. Pour le meilleur et pour le pire.
Pour le meilleur parce qu’en multipliant les niveaux de récit il s’offre la liberté de changer de braquet, de dévier régulièrement des rails sur lequel on le croyait lancé. Plus encore parce qu’au-delà de son cool, il assume un romantisme brûlant qu’on ne pensait plus soluble dans le cinéma d’action américain contemporain. Mais la profusion narrative qu’il déploie semble parfois embarrasser le metteur en scène, qui ne porte pas le même soin à toutes ses scènes, à tous ses personnages. Entre la grâce de l’histoire d’amour, la simplicité émouvante de la relation entre Baby et son tuteur, d’un côté, et les intrigues pataudes qui se nouent autour des braqueurs (Jon Hamm, Jamie Foxx, Eiza Gonzalez) et de leur patron (Kevin Spacey) de l’autre, le contraste est déroutant. Cette désinvolture reflète, plus généralement, une approche plutôt superficielle de la mise en scène (l’obsession de Baby pour l’enregistrement aurait avantageusement pu nourrir une veine plus réflexive, voire métaphysique, ou simplement un scénario plus sophistiqué). Elle est aussi ce qui fait le charme, tout évanescent, de ce petit film, idéal pour une chaude soirée d’été.
Baby Driver - Première bande-annonce - VF
Film américain de Edgar Wright. Avec Ansel Elgort, Lily James, Kevin Spacey, Jon Hamm, Jamie Foxx. (1h53). Sur le web : www.babydriver-movie.com, www.facebook.com/BabyDriver.LeFilm