Conteurs et diseurs au pays de Mélusine
Conteurs et diseurs au pays de Mélusine
Par Frédéric Potet (Azay-le-Brûlé (Deux-Sèvres), de notre envoyé spécial)
Organisé par une petite communauté de communes du Poitou, le festival Contes en chemin perpétue la tradition de l’oralité avec inventivité et modestie des moyens.
Le spectacle de Michel Hindenoch, mardi 18 juillet, à Azay-le-Brûlé | Anaïs Kervella
Dans la famille du spectacle vivant, le conte est un peu le parent pauvre. Pauvre dans tous les sens du terme : quatre tréteaux font l’affaire en matière de logistique (et encore), alors qu’un cachet modeste suffit à payer l’artiste, seul en général. Cette légèreté de moyens rend possible l’idée d’un festival pour des collectivités de petite taille.
Ainsi à Saint-Maixent-l’Ecole (Deux-Sèvres) et alentours où la communauté de communes Haut Val de Sèvre organise depuis 19 ans un rassemblement de conteurs d’excellente tenue en échange d’un investissement modéré : 50 000 euros. Quatorze spectacles sont proposés l’été dans autant de communes, principalement des villages. Depuis sa création en 1998, Contes en chemin a accueilli environ deux cents conteurs français et étrangers - ce qui se fait de mieux dans le métier de l’oralité.
Ce mardi 18 juillet à Azay-le-Brûlé, le propriétaire d’un ancien corps de ferme a prêté sa cour à Michel Hindenoch, une figure emblématique de la corporation des raconteurs d’histoires. L’homme, 71 ans, a participé dans les années 1980 au « renouveau du conte », un mouvement artistique né en France dans la foulée de mai 1968, visant à restaurer les fables et légendes d’antan. Seul avec deux instruments de musique – une flûte de pan et une cithare hongroise – le conteur narre à sa façon des historiettes issues de la tradition populaire, entre facéties et menteries, où il est question de soupe aux cailloux et de prince-serpent. Un pot de l’amitié – jus de pomme du cru et cakes maison – clôturera la soirée à laquelle auront pris part 200 spectateurs – un dixième du village.
Michel Hindenoch joue de la flûte de paon et de la cithare hongroise en même temps qu’il conte | Anaïs Kervella
Pour traverser la France en long et en large depuis 35 ans avec sa valise à histoires, Michel Hindenoch sait que ce genre de festival s’enracine plus facilement en milieu rural qu’ailleurs. La question économique n’est pas tout cependant. « C’est aussi lié au répertoire, explique-t-il. Le conte est directement issu de la littérature paysanne. L’écoute est sans doute meilleure dans des endroits où la tradition de l’oralité a longtemps été présente. » Lieu de passage de la fée Mélusine, le Poitou en est un exemple parmi d’autres. Le merveilleux, ici, n’a jamais cessé de se perpétuer. En témoigne la présence, non loin, d’un lieu permanent dédié au conte, le Nombril du monde, à Pougne-Hérisson (Deux-Sèvres), fondé par le « diseur » Yannick Jaulin.
La pratique a longtemps été rattachée, en France, au secteur du livre. Les conteurs officiaient en effet principalement dans les bibliothèques dans le cadre d’animations ayant lieu le mercredi après-midi. Après un long combat, la profession a finalement intégré le spectacle vivant dans la nomenclature du ministère de la culture, en même temps que le genre s’est élargi à un public non exclusivement enfantin. Entre récit parlé et prestation scénique, le conte n’aurait toutefois pas encore trouvé sa place, d’après Michel Hindenoch : « Les histoires souffrent de cette ambivalence, dit-il. Les conteurs convaincants pour faire le spectacle ne sont pas toujours ceux qui racontent le mieux. A l’inverse, ceux qui racontent bien seraient sans doute plus à leur aise si on les mettait dans un coin peu éclairé, comme autrefois pendant les veillées. »
Anaïs Kervella
Ex-compagnon de route de Bruno de la Salle (le chef de file des rénovateurs du conte en France), Michel Hindenoch n’a besoin, sur scène, que de quelques secondes pour captiver un auditoire avec sa voix profonde et ses mots simples, assemblés au fil d’une réécriture orale laissant la part belle à la modulation et à l’improvisation. « Le conte n’a pas d’équivalent. Dans tous les autres arts, le narrateur est planqué : au théâtre, au cinéma, on ne le voit pas ; on l’entend, au mieux, en voix off. Dans le conte, il est visible, en chair et en os. Et il invite le spectateur à se projeter lui-même dans ses histoires, à se faire son cinéma, dans un espace-temps qui le situe ici et ailleurs simultanément. Les gens sont sensibles à cette relation avec l’artiste, qu’on ne trouve nulle part ailleurs. »
Ainsi parlait un conteur, un soir de juillet 2017 à Azay-le-Brûlé.
Contes en chemin, autour de Saint-Maixent-l’Ecole, jusqu’au 30 septembre.