« La Région sauvage » : la troublante sexualité d’une bête
« La Région sauvage » : la troublante sexualité d’une bête
Par Jacques Mandelbaum
Le réalisateur mexicain Amat Escalante se confronte au genre fantastique, pour servir une métaphore autour de la nature dévorante du désir.
Fer de lance, avec son compatriote Carlos Reygadas, du cinéma mexicain indépendant, Amat Escalante, jeune réalisateur de grand talent, nous a habitué à un cinéma néobuñuelien où la cruauté des rapports sociaux et la déliquescence de la morale confinent au plus noir des surréalismes. Qui a vu au moins un de ses trois longs-métrages – Sangre (2005), Los Bastardos (2008), Heli (2013) – saura de quoi il retourne. La Région sauvage introduit dans cet univers esthétique un élément nouveau : le fantastique. Non que les précédents films, par leur extrême et étrange violence, en fussent dénués. Mais ici, le réalisateur se confronte explicitement au genre.
Elément central, quoique longtemps et délibérément dissimulé à la vision, une bête venue de l’espace. Visqueuse à plaisir, immonde, qu’Amat Escalante se plaît à présenter dans un évident cousinage avec Alien. Comme chez l’autre, d’ailleurs, bestialité et sexualité sont intimement liés, de même qu’animalité et humanité. A ceci près que la bête tentaculaire d’Escalante, à la différence de celle de Ridley Scott, semble davantage programmée pour le plaisir transgenre que pour la procréation invasive. Ce qui n’empêche pas les accidents mortels, la bête, en cela semblable à l’homme, se lassant assez vite.
Bestialité et sexualité
Voici pour la métaphore, plaisante, de la nature dévorante du désir. Pas aussi plaisante, toutefois, que celle utilisée par Jonathan Glazer dans Under the Skin, où, sur un canevas similaire, la bête prenait les fascinants atours de Scarlett Johansson. Comment ne pas penser, également, à l’univers plus confidentiel du Français Bertrand Mandico ? Si le cœur du film d’Escalante se trouve en tout cas dans l’antre de la bête, une certaine faiblesse dramaturgique touche, en revanche, au dispositif humain qu’il dispose à son entour. Le couple de gentils scientifiques qui abrite le monstre dans une maison isolée, les jeunes gens un peu fades qui viennent avec elle connaître les sommets du plaisir, la tendance à mettre du sexe dans tous ses plans pour en faire, suppose-t-on, la grande question subversive d’une société dont rien ne montre par ailleurs qu’elle soit répressive, rien de tout cela n’offre de contrepoint qui soit à la hauteur de la surnature de la bête. Manquent en un mot des personnages et des rapports humains un peu plus complexes autour d’une idée très séduisante qui peut à elle seule valoir le détour.
Bande-annonce - LA RÉGION SAUVAGE d'Amat Escalante
Film mexicain d’Amat Escalante. Avec Ruth Ramos, Simone Bucio, Jesus Meza. (1 h 39) Sur le web : www.facebook.com/Laregion-sauvage, www.le-pacte.com/france/news/detail/la-region-sauvage,