Guerre, terrorisme, épidémie… Comprendre la situation devenue critique au Yémen
Guerre, terrorisme, épidémie… Comprendre la situation devenue critique au Yémen
Par Clément Le Foll
Depuis plus de deux ans, le Yémen est déchiré par une guerre qui semble insoluble. Dans des conditions sanitaires et humanitaires alarmantes, les civils payent le prix fort.
Depuis plus de deux ans, le Yémen vit au rythme des combats, des bombardements aériens et de la destruction de ses infrastructures. Une guerre qui paraît impossible à résoudre de manière diplomatique et qui affecte de plus en plus les populations civiles, prises en tenaille par ce conflit, frappées par la famine et les problèmes sanitaires.
Les origines de cette crise
Pour comprendre comment la crise yéménite a débuté, il faut suivre le destin de deux personnages clés du pays : le président Abd Rabbo Mansour Hadi et son prédécesseur déchu, Ali Abdallah Saleh.
Ce dernier avait pris la tête du Yémen du Nord dès 1978 avant de devenir président d’un Yémen réunifié en 1990. Mais en février 2012, dans la foulée des « printemps arabes », Ali Abdallah Saleh est forcé d’abandonner le pouvoir, sous la pression d’une partie du peuple et de la communauté internationale. Un accord pour une transition politique, signé en Arabie saoudite en novembre 2011, lui garantit l’immunité, ainsi que celle de ses proches.
Abd Rabbo Mansour Hadi lui succède après sa victoire lors de l’élection présidentielle de 2012, pour une période de transition de deux ans. Reconnu par la communauté internationale, le nouveau président peine à stabiliser le pays et à le redresser économiquement.
En septembre 2014, le mouvement rebelle houthiste, marginalisé par le nouveau pouvoir, parvient à prendre la capitale, Sanaa, en s’alliant à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, demeuré dans la capitale, et qui compte encore d’importants soutiens dans les forces armées. Les houthistes, de confession zaïdite, une branche minoritaire du chiisme, avaient pourtant été combattus durant six ans dans leur fief du nord du pays par l’ancien président Ali Abdallah Saleh, lorsque celui-ci tenait la présidence.
Placé en résidence surveillée, le président Hadi parvient à quitter Sanaa en mars 2015. Il gagne d’abord le grand port d’Aden, dans le sud du pays, d’où il s’exile chez son allié saoudien, à Riyad.
Comprendre le conflit au Yémen en 5 minutes
Durée : 04:56
Le rôle de l’Arabie saoudite
Les houthistes se sont ainsi emparés d’une large part du pays et combattent à Aden. Cette menace fait réagir l’Arabie saoudite, à majorité sunnite. Riyad estime que l’Iran, son grand rival régional chiite, qui soutient les houthistes, cherche à s’implanter à sa frontière sud à la faveur de leurs victoires. Il s’agit d’une guerre préventive : les houthistes sont loin de constituer un satellite de l’Iran comme le Hezbollah libanais, formé dès les années 1980.
Le 26 mars 2015, l’Arabie saoudite déclenche l’opération « Tempête décisive », une coalition de neuf pays arabes sunnites (composée du Maroc, du Soudan, de l’Egypte, de la Jordanie, du Koweït, de Bahreïn, du Qatar, des Emirats arabes unis et de l’Arabie saoudite), apportant un soutien principalement aérien aux forces pro-gouvernementales yéménites. Cette coalition est appuyée par les Etats-Unis, qui fournissent un soutien logistique et de renseignement.
Au niveau du droit international, l’intervention saoudienne est légale, mais implique le respect de l’article 3 commun aux conventions de Genève de 1949, et du protocole additionnel II. Ces obligations concernent la protection des civils, le ciblage d’installations exclusivement militaires, les bombardements en zone urbaine, la protection des belligérants ayant laissé leurs armes. Or plusieurs des raids menés par l’Arabie saoudite ont occasionné des pertes civiles.
Plus de deux ans plus tard, l’intervention saoudienne n’a toujours pas permis de rétablir la stabilité dans le pays et de réduire l’influence des houthistes. Les lignes de front ont peu bougé depuis une phase initiale du conflit, qui a permis de chasser les rebelles de la région d’Aden. Les rebelles contrôlent toujours la capitale, Sanaa. La coalition a lancé une offensive fin 2016 pour reprendre la côte de la mer Rouge aux rebelles, et menace le port de Hodeïda, par où transite l’essentiel de l’aide humanitaire destinée aux civils dans les zones rebelles.
Une situation propice aux organisations terroristes
Mais le théâtre yéménite ne se limite pas à un bras de fer entre les forces gouvernementales du président Mansour Hadi et les milices houthistes. L’organisation djihadiste Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA, « filiale » yéménite d’Al-Qaida) a profité de la guerre pour renforcer son implantation locale, notamment dans le sud du pays. Présents au Yémen depuis 2002, les Etats-Unis ont intensifié leur implication dans la région depuis janvier et l’investiture de Donald Trump, avec comme but principal de réduire l’influence du groupe terroriste.
L’organisation Etat islamique (EI) a également profité de la situation pour élargir son influence au Yémen. En mai 2016, l’EI avait revendiqué un attentat commis dans la ville d’Aden, au sud du pays, tuant plus de 40 personnes. Quelques mois plus tard, les autorités yéménites ont démantelé une cellule de l’Etat islamique responsable de plusieurs attentats contre la police et l’armée, toujours dans la ville d’Aden.
Famine, choléra : une situation sanitaire consternante
En plus de deux ans de guerre, la situation sanitaire s’est fortement dégradée au Yémen. Les infrastructures sont fortement endommagées et désorganisées, et seules quelques antennes médicales sont encore opérationnelles. Le contexte a favorisé une épidémie de choléra qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis avril.
Cette maladie est provoquée par l’absorption d’eau ou de produits alimentaires contaminés par la bactérie Vibrio cholerae, présente dans les matières fécales, et engendre des diarrhées sévères et une déshydratation parfois mortelle. La destruction d’infrastructures comme les stations de pompage d’eau a favorisé le développement de l’épidémie.
Tedros Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a rappelé que le choléra touchait les 21 gouvernorats du pays et qu’on comptait plus de 388 000 cas et 1 848 morts.
Au-delà du choléra, le Yémen est également frappé par « la plus grande crise alimentaire au monde », selon les mots du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Environ 17 millions de personnes souffrent de la faim et le sort des enfants est plus que préoccupant : « Un enfant de moins de 5 ans meurt au Yémen toutes les dix minutes de causes évitables », a-t-il déploré en avril. La communauté internationale avait d’ailleurs promis 1,1 milliard de dollars pour aider les personnes affectées par le conflit.
Le Yémen importe une grande partie de ses denrées alimentaires ; un approvisionnement rendu notamment compliqué par le blocus sur le port de Hodeïda – principale voie d’acheminement de nourriture –, qui s’est intensifié depuis décembre 2016. Les organisations humanitaires estiment qu’à peine 10 % des marchandises à destination des civils passent ce point névralgique. En plus de cela, le prix des aliments de base a très fortement augmenté : entre janvier 2015 et 2017, le prix du blé a bondi de 50 % au Yémen.
Il y a quelques mois, des responsables d’ONG humanitaires ont souligné la responsabilité de la communauté internationale dans la situation actuelle. La résolution 2216 du Conseil de sécurité de l’ONU, censée imposer « un embargo sur les armes à destination des houthistes et de leurs alliés », a eu un effet néfaste sur l’aide humanitaire, engendrant un quasi-blocus du matériel médical et de la nourriture.
Des crimes de guerre récurrents
Dans son rapport mondial 2017, Human Rights Watch a rapporté de possibles crimes de guerre impunis dans le conflit yéménite. La coalition menée par l’Arabie saoudite est le premier belligérant à être mis en cause par l’ONG :
« La coalition a attaqué illégalement des maisons, des marchés, des hôpitaux, des écoles, des commerces civils et des mosquées. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, au 10 octobre, au moins 4 125 civils avaient été tués et 6 711 avaient été blessés, la plupart par des frappes aériennes de la coalition. »
Les forces houthistes et leurs alliés sont également accusés de crimes de guerre, notamment depuis la prise de la capitale Sanaa en septembre 2014. Elles auraient « mené une campagne de détentions arbitraires et de disparitions forcées contre des personnes perçues comme des opposants » :
« Ils ont lancé des roquettes d’artillerie lors d’attaques aveugles dans le sud-est de l’Arabie saoudite et au Yémen, tuant 475 civils et blessant 1 121 autres personnes entre le 1er juillet 2015 et le 30 juin 2016, d’après l’ONU. Les forces houthistes et alliées ont également posé des mines antipersonnel interdites qui ont tué et blessé des dizaines de civils. »
Des chiffres qui se sont encore alourdis d’après le dernier rapport de l’OMS : le bilan du conflit est à présent de 7 800 personnes tuées et 44 000 blessés. Plus de 2 millions de personnes ne peuvent toujours pas rentrer chez elles, et plus de 186 000 ont fui le pays, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Aucune issue diplomatique
Trois cycles de négociations ont eu lieu entre le gouvernement yéménite et les rebelles houthistes depuis le début du conflit. Le dernier, placé sous l’égide des Nations unies, avait débuté le 18 avril 2016 au Koweït. Les négociations avaient été définitivement rompues début août.
Depuis, les Nations unis ont réussi à négocier plusieurs cessez-le-feu entre les deux parties, qui ont été rompus aussitôt. En novembre, l’ancien secrétaire d’Etat américain John Kerry avait annoncé une nouvelle initiative de paix, qui n’avait pas empêché la poursuite des combats. Les affrontements sont donc toujours en cours, alors qu’aucun des deux camps ne semble avoir les moyens de triompher militairement et que les conditions de vie des populations civiles se dégradent de façon alarmante.