Réuni en session extraordinaire, le Parlement éthiopien a voté, vendredi 4 août, la levée de l’état d’urgence instauré le 9 octobre 2016 à la suite de mois de manifestations anti-gouvernementales qui auraient fait plusieurs centaines de morts. Initialement prévu pour six mois, l’état d’urgence avait été prolongé, le 29 mars, de quatre mois supplémentaires.

  • Est-ce une surprise ?

« Tout le monde pensait qu’il serait prolongé », confie un journaliste éthiopien, notamment à cause d’un regain de tensions, fin juillet, dans la région Oromia après la hausse d’une taxe sur les petites et moyennes entreprises. C’est aussi une surprise pour Befeqadu Hailu, l’un des membres fondateurs du collectif de blogueurs éthiopiens Zone9, qui s’est retrouvé à deux reprises derrière les barreaux : « Je suis surpris parce que le prochain festival oromo Ireecha aura lieu dans deux mois. Les autorités auraient pu être inquiètes que cela se termine en manifestations. L’état d’urgence diminuait les risques. »

Le 2 octobre 2016, cette fête traditionnelle des Oromo, l’ethnie majoritaire en Ethiopie, s’est soldée par des affrontements qui ont entraîné une bousculade meurtrière, faisant plusieurs dizaines de morts selon le gouvernement. Ce fut l’élément déclencheur de l’état d’urgence, après des mois de manifestations anti-gouvernementales. La rage des Oromo à la suite de ce drame a provoqué de violents heurts dans la région Oromia, où des entreprises locales et étrangères ont été la cible de manifestants et de pillards. Les autorités ont alors décrété l’état d’urgence pour « rétablir la paix et la sécurité », compte tenu des « récentes perturbations, des violences et des activités illégales » sur le territoire.

  • Que s’est-il passé pendant dix mois ?

Lors de l’instauration de l’état d’urgence, le gouvernement a notamment imposé un couvre-feu dans des usines, des fermes et des institutions gouvernementales, ainsi qu’une restriction pour les diplomates, qui avaient l’interdiction de se déplacer sans autorisation au-delà d’un périmètre de 40 km autour de la capitale. Les forces de sécurité pouvaient rechercher, arrêter les suspects ou fouiller leur domicile sans mandat. Ces mesures ont été progressivement révoquées. Les réseaux sociaux sont restés bloqués pendant plusieurs mois et uniquement accessibles par le biais de réseaux privés virtuels (VPN). Les rassemblements publics ont été interdits sans autorisation pendant toute la durée de l’état d’urgence.

Aussi, « de graves violations des droits de l’homme ont été commises, y compris la détention arbitraire de dizaines de milliers de personnes, affirme Felix Horne, chercheur à Human Rights Watch (HRW). Beaucoup d’entre elles sont toujours détenues, soit sans aucune charge, soit sur des accusations motivées par des raisons politiques. » Plusieurs prisonniers ont confié au Monde Afrique avoir été victimes d’actes de torture lors de leur détention, avant de subir une sorte de « rééducation politique ».

Au total, plus de 21 000 individus ont été arrêtés, dont plusieurs journalistes et deux chefs de file de l’opposition : Merera Gudina, président du Congrès fédéral oromo (OFC), et l’ancien porte-parole du parti Semayawi, Yonatan Tesfaye. Ils seraient encore 7 700 derrière les barreaux, d’après le ministre éthiopien de la défense, Siraj Fegessa.

  • Que va-t-il se passer maintenant ?

Concrètement, la fin de l’état d’urgence signifie que les restrictions en vigueur pendant dix mois sont levées. Mais d’aucuns craignent un simple effet d’annonce qui ne sera pas suivi de changements profonds.

Tsedale Lemma, rédactrice en chef du média en ligne Addis Standard, contrainte d’interrompre la publication papier du magazine peu après l’instauration de l’état d’urgence, faute d’imprimeur et de distributeur, regrette que le gouvernement soit resté silencieux sur un point : va-t-il répondre de ses actes face aux « dégâts causés par les actes immodérés de violence commis par les forces de sécurité » sous la protection du décret instaurant l’état d’urgence ? Et que va-t-il advenir des détenus ? « Des milliers d’individus ont été affectés par l’état d’urgence et ils ont besoin de réponses, je crains que le simple fait de dire “nous avons levé l’état d’urgence” ne suffise pas », dit-elle.

De son côté, Felix Horne, de HRW, regrette qu’aucune des doléances exprimées par les protestataires n’ait été abordée, malgré les promesses répétées du gouvernement d’engager une « réforme profonde » : « La grande majorité des manifestants à qui je parle me disent que c’est juste une question de temps avant qu’il y ait davantage de manifestations si leurs griefs ne sont pas abordés. Le gouvernement doit entreprendre d’urgence d’importantes réformes, ouvrir immédiatement l’espace politique et permettre l’expression pacifique de la dissidence. »