Fête techno au château, chez monsieur le baron
Fête techno au château, chez monsieur le baron
Par Frédéric Potet (Ainay-le-Vieil (Cher), envoyé spécial)
Organisé chaque année dans un site patrimonial différent, le festival Château Perché s’est déroulé ce week-end au sein même de la forteresse d’Ainay-le-Vieil (Cher), fief d’une famille aristocratique depuis cinq siècles.
Dans la cour du château. | ANAÏS KERVELLA
Le baron Auguste d’Aligny va pouvoir refaire la toiture de son château. « Seulement une petite partie, précise-t-il, mais c’est déjà ça. » Sa fée protectrice s’appelle la techno. Entre le vendredi 4 août et le dimanche 6 août, la forteresse médiévale que sa famille habite depuis 550 ans, et 19 générations, a accueilli la quatrième édition de Château Perché, un festival de musique actuelle dont la particularité est de se dérouler, chaque année, dans un lieu différent. Quatre mille personnes ont investi ce week-end le château d’Ainay-le-Vieil, dans le sud du département du Cher. La location du site – plusieurs dizaines de milliers d’euros – devrait permettre à son propriétaire, descendant de Colbert, de lancer le financement d’une nouvelle phase de travaux.
Sur la carte des festivals, Château Perché est un événement assez singulier avec ce parti pris de l’itinérance qui oblige ses organisateurs à déployer des efforts inhabituels en matière d’installation et de sécurisation. Son concept est né à Berlin où Samy El Moudni, un étudiant en école de commerce de Clermont-Ferrand était allé passer une année de césure. « Je suis tombé amoureux de la scène électro locale, raconte-t-il. En rentrant en France, je me suis dit qu’il serait formidable d’allier l’esprit festif berlinois, fait de tolérance et de partage, aux joyaux du patrimoine auvergnat. En Auvergne, on a des volcans et des châteaux. J’ai choisi les châteaux. »
Le château d’Ainay-le-Vieil accueille 20 000 visiteurs par an. | ANAÏS KERVELLA
Les trois premières éditions de Château Perché ont eu lieu dans des bâtisses privées du Puy-de-Dôme (Chazeron, Ravel) et de l’Allier (Busset). C’est la première fois, cette année, que le festival s’installe dans une région limitrophe. À Ainay-le-Vieil, Samy El Moudni et son équipe ont mis les bouchées doubles en déployant sept scènes sur le site (au lieu de cinq jusque-là) : 180 DJ et musiciens, issus entre autres de la scène house et deep house de Berlin, s’y sont succédé dans un flux continu de son et de rythmes, l’instant de deux sessions de 22 et 21 heures d’affilée (avec trois heures de pause au milieu).
ANAÏS KERVELLA
N’étaient le ticket d’entrée (entre 60 et 80 euros le passe de trois jours) et l’environnement propre à l’organisation de tout festival (buvettes multiples, toilettes vite submergées, service d’ordre musclé…), la manifestation avait de furieux airs de rave party. De rave party « encadrée », en quelque sorte.
Au regard du constraste entre la majesté du lieu et la fête débridée qui s’y est déroulée jour et nuit, on se dit que les négociations ne furent pas forcément simples avec le châtelain. Même pas. « Nous avons été relativement rapides à dire oui, indique Auguste d’Aligny. Faire accepter la chose au sein de notre famille fut en revanche plus lent. Et plus lent encore le fait de se concilier les autorités compétentes – préfecture, gendarmerie, communes avoisinantes. »
Martine et Auguste d’Aligny. | ANAÏS KERVELLA
Rassuré par ses propres enfants qui connaissaient Château Perché, Auguste d’Aligny a toutefois pris la précaution d’appeler les propriétaires des trois châteaux auvergnats où l’événement s’était tenu ces dernières années, notamment pour vérifier que le site lui serait bien rendu sans dégradation. Il n’a pas informé par contre les Monuments historiques, de peur qu’on lui déconseille de se lancer dans pareille aventure.
La personne la plus réticente fut la sœur du baron, madame de la Tour d’Auvergne, qui règne sur l’agencement du jardin, remarquable pour ses cinq chartreuses et sa roseraie de roses anciennes. Plus de la moitié du site de 7 hectares a du coup été fermé au public. Idem des pièces du château, à l’exception de la salle des archets transformée en dance floor (renforcé par des étais glissés sous le parquet).
Ici et là, les moquettes et les surfaces en bois ont été ignifugées afin de limiter les risques de feu - le danger numéro un, avec le risque de noyade dans les douves. Après avoir donné un avis défavorable deux jours avant le début des festivités, entre autres pour des négligences dans l’éclairage du site, la préfecture du Cher a finalement autorisé la manifestation à se dérouler, sous la protection de 120 gendarmes.
Devant la scène dite des « Petites douves ». | ANAÏS KERVELLA
La population de la commune (190 habitant) a, elle, été invitée à pénétrer gratuitement dans l’enceinte du site : « C’est le minimum qu’on puisse faire, vu le dérangement », insiste Samy El Moudni. La doyenne du village, âgée de 90 ans, est venue faire un tour. Des producteurs de Châteaumeillant, le vin du coin, et de pâtés de pommes de terre ont monté un stand, manière de contrecarrer l’image d’un festival extérieur venant planter sa toile de cirque sans se soucier de l’environnement local. L’argent ne serait pas tout dans l’affaire. « Pour que ce type d’événement soit un succès, il faut qu’il y ait un vrai feeling avec le châtelain », assure Samy El Moudni.
Devant la scène installée dans les jardins du château. | ANAÏS KERVELLA
En plus d’une partie de toiture bientôt refaite à neuf, Auguste d’Aligny et son épouse Martine ne voient en tout cas que des effets positifs dans l’opération : « Ce festival apporte de la notoriété au château [20 000 visiteurs par an] et au village. C’est aussi un moyen de faire revivre le pays, dans une région déshéritée sur le plan économique. Nous avons reçu beaucoup de mails de festivaliers pour nous dire : « Bravo, le Berry se remue ». C’est enfin un excellent moyen de sensibiliser des jeunes au patrimoine. »
ANAÏS KERVELLA
Reste la question essentielle : combien de temps faudra-t-il au site pour être nettoyé et retrouver son état d’origine ? « Je pense que je vais rester là un petit moment », soupirait Samy El Moudni, dimanche. Un autre festival attend le château d’Ainay-le-Vieil : les 72 heures d’août, une série de concerts de musique classique ayant lieu sur trois jours (18 au 20 août). Dans la cour de la forteresse, où était installée la principale scène électro de Château Perché, les futurs festivaliers auront droit à un dîner aux chandelles. Une autre façon de faire la fête.
Château Perché Festival, à Ainay-le-Vieil, du 4 au 6 août.