« Fei Xinwen » ou « sans nouvelles » : c’est par ce titre ironique que Lu Yuyu, blogueur chinois de 38 ans, désignait le fil de vidéos qu’il compilait sur les réseaux sociaux chinois puis mettait en ligne sur diverses plates-formes en Chine et à l’étranger. Celles-ci montraient des « incidents de masse », c’est-à-dire des flambées de colère collective qui dégénèrent parfois en émeutes à la suite d’un conflit entre des citoyens et une entité publique ou privée. Puis conduisent le plus souvent à l’intervention brutale de la police. Ils sont en général passés sous silence par les médias chinois, aussi bien locaux que nationaux.

Cette mission a valu au blogueur, qui fut arrêté en juin 2016 à Dali, où il vivait avec sa compagne, d’être condamné le 3 août par un tribunal chinois à quatre ans de prison pour « incitation de querelle et trouble à l’ordre public », un chef d’accusation régulièrement utilisé à l’encontre des blogueurs ou des lanceurs d’alerte et dont la sphère d’application inclut depuis 2013 le cyberespace. Ignoré par les médias chinois, ce verdict a indigné son avocat et les quelques militants qui suivent son cas.

« Lu Yuyu n’a pas plaidé coupable et a refusé de le faire. Il a fait appel, mais on ne sait pas quand aura lieu un nouveau procès. Il n’a fait que mettre en ligne des cas d’incidents réels, il était hors de question pour lui de reconnaître la moindre faute », dit son avocat Xiao Yunyang.

Le blogueur a en outre subi des violences à certains moments de sa détention.

« Travail de journaliste »

Les films qu’il a rassemblés pour sa compilation proviennent de témoins ou de protagonistes qui les ont mis en ligne. Pour la blogueuse Wang Lihong, qui fit elle-même de la prison en 2011 pour avoir organisé la couverture sur les réseaux sociaux de procès de militants, « ces images et ces vidéos montrées par Lu Yuyu existent, elles ne sont pas fabriquées. Il faisait en outre un travail sérieux de journaliste car il s’efforçait toujours de confirmer leur authenticité. En quoi est-ce délictuel ? »

La compagne du blogueur, Li Tingyu, une ex-étudiante de l’université de Zhongshan, qui avait eu maille à partir avec la police du campus pour avoir aidé d’autres étudiants à installer des VPN afin de déjouer le blocage de sites internet, a, elle, été jugée à huis clos en avril, mais le verdict n’a pas été rendu public.

Originaire du Guizhou, Lu Yuyu fit divers petits boulots de travailleur migrant. Il a commencé sa compilation en 2012, après avoir été brièvement arrêté pour avoir participé à une manifestation, selon le site China Human Rights Defenders (CHRD). Lui et sa compagne s’étaient installés à Dali, ville touristique de la province du Yunnan, devenue un foyer pour les milieux alternatifs chinois. Reporters sans frontières leur avait attribué en 2016 après leur arrestation le prix du journalisme citoyen.

Incidents de masse

[2016.6.13]湖北省孝感市孝昌县花园镇牌坊村数十村民到政府抗议村官私卖土地遭警察镇压(一)

En allant sur@wickedonnaa, la chaîne d’incidents de masse ouverte par Lu Yuyu sur YouTube et toujours accessible, on trouve ainsi le 13 juin 2016, quelques jours avant son arrestation alors tenue secrète, le cas d’habitants d’un village de la province orientale du Hubei malmenés par la police pour avoir dénoncé la vente discrétionnaire de leurs terres par des officiels. Le 14 juin, des habitants du Jiangsu (près de Shanghaï) manifestent contre une décharge qui pollue leurs terres et sont dispersés par la police. Ailleurs, dans le Sichuan central, un enseignant est arrêté pour être venu réclamer des heures impayées à l’administration locale. A Shantou, grande ville de l’est de la province cotière du Guangdong, une foule s’est rassemblée pour bloquer un officiel impliqué dans un accident de la route alors qu’il conduisait en état d’ivresse. La police tente de rétablir l’ordre.

Les vidéos de Lu Yuyu dressent la chronique d’une Chine sans cesse menacée d’un trop plein d’injustice et de colère et que peinent à endiguer les mécanismes de règlement de conflits existants. Ces innombrables heurts n’ont souvent d’autre issue que la violence policière puis les abus d’un système judiciaire avant tout préoccupé de stabilité. Trente mille incidents de masse ont été compilés par le blogueur rien qu’en 2016 – une fraction du nombre estimé de ces coups de colère qui électrisent la Chine mais n’ont pas droit de cité dans les médias du pays.