Netflix va relancer les Chevaliers du Zodiaque. / Netflix

Après s’être imposé dans le monde des séries, et fait grincer quelques dents cannoises en s’infiltrant dans le milieu du cinéma, Netflix s’attaque à la japanimation. Son intérêt pour ce type de contenu n’est pas nouveau, mais avec l’annonce lundi 1er août à Tokyo d’une douzaine de nouveaux animes, dont le retour de la franchise culte des Chevaliers du zodiaque, Netflix est passé à la vitesse supérieure.

Symboliquement, relancer Saint Seiya – le titre original des Chevaliers du zodiaque – est un énorme coup. Le titre est l’un des plus célèbres au-delà du Japon, une madeleine de Proust chez les trentenaires, notamment Européens, qui dépasse la communauté des otakus, ces passionnés de japanimation. Netflix s’attaque donc, avec cette nouvelle série en douze épisodes dont la date de sortie n’est pas connue, à un colosse de la culture pop japonaise. Et sans faire les choses à moitié, puisque l’anime est produit par la célèbre Toei, qui compte à son actif d’innombrables succès comme Dragon Ball, One Piece, Albator et bien sûr Saint Seiya.

Des projets ambitieux

Globalement, les nouveaux titres annoncés semblent ambitieux, certains étant issus de studios ayant réalisé des animes acclamés comme Fullmetal Alchemist ou encore Ghost in the Shell. « Il faudra comme d’habitude en juger sur pièces et au cas par cas, mais Netflix fait en tout cas appel à des studios et des réalisateurs de talent déjà reconnus » estime, optimiste, Pa Ming Chiu, journaliste pour AnimeLand, J-One et Manga Kids. « Je suis très enthousiaste. »

Netflix proposait déjà sur sa plate-forme des animes très populaires comme L’Attaque des Titans, Naruto ou Tokyo Ghoul, et également des titres moins récents mais cultes comme Fullmetal Alchemist ou Cowboy Bebop. Cette année, la plate-forme a franchi un pas supplémentaire avec la sortie en juillet de Castlevania, un animé dérivé du jeu vidéo éponyme, et celle prévue fin août de l’adaptation en film live de Death Note, un des titres les plus populaires de ces dernières années.

En annonçant douze animes supplémentaires inédits et exclusifs, Netflix pousse encore plus loin la démarche. Pourquoi le site s’investit-il autant dans la japanimation ? Cela a de quoi surprendre, notamment de la part d’une entreprise américaine – aux Etats-Unis, la japanimation n’a pas le succès qu’elle connaît par exemple en France, même si sa popularité augmente depuis quelques années.

Des contenus « moins risqués à produire »

« A.I.C.O. Incarnation » est l’un des nouveaux animes annoncés par Netflix. / Netflix

Netflix évoque la particularité que représente pour l’entreprise le marché japonais : « Le Japon est un cas unique car l’immense majorité du contenu visionné est locale », explique Yann Lafargue, responsable de la communication d’entreprise chez Netflix en Europe. « Dans presque tous les autres pays du monde, le top 10 des titres les plus vus sont généralement similaires ». Il est donc indispensable pour l’entreprise de proposer des contenus pertinents pour ce pays :

« La qualité de l’anime local et l’appétit des Japonais pour ce genre en font une logique d’investissement évidente pour nous, surtout que les nombreux titres déjà sur notre plate-forme marchent très fort. »

D’autant plus que l’intérêt pour ces contenus dépasse largement les frontières niponnes :

« Le marché de l’anime est énorme, au Japon mais aussi dans le monde entier. Il est d’ailleurs assez amusant de voir que nous exportons des animes français de la société Ankama [Wakfu] au Japon et partout dans les pays où nous opérons. »

S’attaquer à l’anime, c’est aussi une manière de remplir son catalogue à peu de frais, fait remarquer Northrop Davis, auteur du livre Manga and anime go to Hollywood (non traduit en français) et professeur spécialisé dans les mangas à l’université de Caroline du Sud :

« L’avantage des animes sur les autres grandes et chères séries est qu’ils sont moins risqués à produire. Historiquement, les animes coûtent bien moins cher à produire, même en comparaison avec les dessins animés américains. »

Et ce depuis Osamu Tezuka, considéré comme le père du manga, qui dans les années 1950 est parvenu à produire Astro Boy à très bas coût, contraint par les exigences de la chaîne qui diffusait alors l’anime. « Mais ensuite, le modèle était lancé, celui d’animes à très bas coût. » Netflix limite donc les risques, et à l’inverse, si jamais l’une de ces productions devenait le nouveau grand succès de la japanimation, le retour sur investissement pourrait s’avérer très positif pour l’entreprise.

Netflix montre aussi les muscles sur un marché de plus en plus concurrentiel. La plate-forme américaine Crunchyroll, consacrée aux animes et qui produit elle-même certaines séries, a par exemple passé cette année la barre du million d’abonnés payants, avec un prix entre 5 et 9 euros par mois. L’an dernier, Amazon avait de son côté lancé sa propre plate-forme de streaming spécialisée, Anime Strike, accessible à partir de 5 dollars par mois (4,26 euros).

Netflix va-t-il transformer les animes ?

L’anime « Lost Song » est prévu pour 2018. / Netflix

Plus généralement, « je pense que leur idée est juste d’être présent sur tous les formats », analyse le journaliste Pa Ming Chiu, « et ils ont l’intelligence de ne pas sous-considérer l’animation ».

« Ils ont compris, au contraire d’autres sociétés de production hollywoodiennes, que le dessin animé n’est pas que pour les enfants et que l’animation japonaise notamment est loin d’être un simple marché de niche ou un effet de mode. »

Le public friand de ces productions grandit en effet et se diversifie au fil des années : femmes, hommes, enfants, ados, adultes… D’ailleurs, les nouveaux titres annoncés sont très variés et semblent s’adresser à des publics différents. « Il y a une véritable volonté de promouvoir l’animation japonaise auprès du plus grand public possible », remarque Pa Ming Chiu. Celle-ci pourrait aussi, grâce aux ambitions de Netflix, trouver de nouveaux adeptes dans les 190 pays où le site propose ses services. Un représentant de Netflix, Todd Yellin, avait par ailleurs affirmé l’an dernier au magazine spécialisé Wired que seulement 10 % des consommateurs d’animes sur la plate-forme vivaient au Japon.

« Nous sommes très excités à l’idée de pouvoir utiliser notre réseau international pour faire découvrir à de nouvelles audiences, partout dans le monde, l’imagination et la créativité des créateurs japonais, et d’en faire de nouveaux fans d’animes », confirme Yann Lafargue de Netflix. Qui plus est, souligne-t-il, « être un service mondial nous permet de combiner les créateurs et les histoires pour atteindre de nouvelles audiences ». Par exemple en faisant travailler sur des animes des personnes qui ne viennent pas du Japon, comme l’Américain Adi Shankar, qui s’est occupé de Castlevania.

De quoi transformer durablement le monde de l’animation japonaise ? Cela inquiète certains fans de japanimation tandis que d’autres, comme le journaliste Pa Ming Chiu, préfèrent saluer « la dynamique nouvelle que Netflix apporte au média ». « Si cela effraie les puristes, je pense au contraire que ces mélanges de sensibilités culturelles contrastées peuvent apporter de nouvelles choses intéressantes. »

Et les puristes en question devront s’y faire, car Netflix le clame haut et fort : « Nous avons l’intention d’augmenter considérablement cette offre dans les prochaines années. »