Le 18 août 2017, des policiers espagnols s’affairent autour de la voiture de cinq terroristes qui a foncé dans la foule à Cambrils, ville balnéaire à une centaine de kilomètres de Barcelone. / LLUIS GENE / AFP

Pour la première fois depuis la vague d’attentats qui ensanglante l’Europe depuis 2015, l’organisation Etat islamique (EI) a mené une attaque en Espagne. Paradoxalement, l’Espagne, qui a subi l’attaque djihadiste la plus meurtrière de l’histoire de l’Europe en 2004 – 191 morts et 2 000 blessés dans une série d’explosions coordonnées en gare d’Atocha, à Madrid –, à l’époque revendiquée par une cellule Al-Qaida, était jusqu’ici épargnée par l’EI. Cette exception a pris fin avec l’attaque à la camionnette-bélier menée, jeudi 17 août, sur les Ramblas, l’artère la plus touristique de Barcelone.

Mais, si le mode opératoire choisi, très rudimentaire, apparente cet attentat à ceux commis lors de l’année écoulée à Nice, Berlin, Stockholm et Londres (à Westminster puis au London Bridge, par des djihadistes se revendiquant de l’EI, puis devant la mosquée de Finsbury Park, par un extrémiste antimusulman), il semble bien que les membres de la cellule mise au jour en Espagne soient autrement plus aguerris que les auteurs de ces récentes attaques en Europe.

Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile, vous pouvez le consulter sur le site web

Ces derniers attentats semblent, en effet, avoir été commis par des militants ou sympathisants relativement isolés, ayant décidé, seuls, de répondre au mot d’ordre général de l’EI formulé par Abou Mohamed Al-Adnani, le porte-parole et stratège des opérations extérieures de l’EI, tué il y a presque un an par un tir de drone américain, dans le nord de la Syrie.

L’explosion accidentelle, la veille de l’attentat de Barcelone, d’un appartement à Alcanar, où ses occupants semblaient préparer un engin explosif, puis l’attaque à Cambrils, dans la nuit de jeudi à vendredi, par cinq individus dans une Audi, dont certains portaient de fausses ceintures d’explosifs, selon le gouvernement régional catalan, laissent penser qu’un vaste réseau dormant a été mis au jour en Catalogne.

L’enquête de la police espagnole, toujours en cours, dira si les attaques de jeudi, à Barcelone puis Cambrils, ont été déclenchées par l’explosion d’Alcanar, parce que les djihadistes auraient craint qu’elle ne révèle l’existence d’un vaste réseau d’aide et de soutien dans la région.

« Foyers de propagande »

Déjà, en avril 2015, rappelle dans son blog sur lemonde.fr l’historien Jean-Pierre Filiu, spécialiste des mouvements djihadistes, les Mossos d’Esquadra (la police autonome de Catalogne) avaient ainsi procédé à onze arrestations, dont sept à Terrassa, non loin de Barcelone. La cellule djihadiste démantelée comportait six convertis, cinq de nationalité espagnole et un Paraguayen. Le coup de filet était lié à l’interception, cinq mois plus tôt, en Bulgarie, de trois djihadistes partis rejoindre l’EI en Syrie.

Pour lui, « les deux principaux foyers de propagande, voire de recrutement djihadiste, apparaissent comme étant la Catalogne, d’une part, les villes de Ceuta et de Melilla, enclavées en territoire marocain, d’autre part ». Mettant en regard l’absence d’attentat récent en Espagne et l’intensité de la présence djihadiste sur son sol, Jean-Pierre Filiu conclut que l’Espagne peut avoir joué le rôle de « chaînon essentiel, voire celui d’une base arrière, dans la commission d’attentats djihadistes dans d’autres pays européens ». Plusieurs terroristes français, dont Ayoub El-Khazzani, l’assaillant du Thalys, et Amedy Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher, y ont séjourné. Le pays constitue également un sas pratique entre le Maroc et l’Europe.

L’attaque de Barcelone est-elle le signe d’un affaiblissement de l’EI, obligé de recourir à sa base arrière, ou le prélude à une campagne plus vaste ? Quelle que soit la réponse, l’Espagne pourrait, dans les jours et semaines à venir, connaître d’importants soubresauts, à mesure que les investigations policières progresseront.