« Peut-on frapper un néonazi ? » : la violence à l’épreuve de l’éthique
« Peut-on frapper un néonazi ? » : la violence à l’épreuve de l’éthique
Par Lina Rhrissi
Après le drame de Charlottesville, le mot-clé #PunchANazi fait débattre de la légitimité de la violence à l’égard des militants d’extrême droite.
L’organisateur du rassemblement « Unite the Right », Jason Kessler, aidé par la police après avoir été attaqué par une femme pendant sa conférence de presse à Charlottesville, le 13 août 2017. / JUSTIN IDE / REUTERS
Fait symptomatique de la présidence Trump, c’est la deuxième fois en un an que le mème « Punch a Nazi » (« Frappe un néonazi ») est à l’affiche des réseaux sociaux américains. Une sorte de catharsis digitale à l’heure où le président des Etats-Unis défend les monuments en hommage aux confédérés, ménage l’extrême droite américaine et refuse de désapprouver explicitement les suprémacistes blancs après le drame de Charlottesville, en Virginie.
Dimanche 13 août, le lendemain de la manifestation « Unite the Right » qu’il a organisée dans cette ville américaine de l’Etat de Virginie, le militant nationaliste et raciste Jason Kessler a été frappé à plusieurs reprises avant d’être chassé de l’endroit où il devait donner une conférence de presse.
En janvier, le mot-clé avait déjà émergé lorsque le militant d’extrême droite Richard Spencer, considéré comme l’inventeur du terme « alt-right », avait reçu un coup de poing en pleine interview à Washington. La vidéo de l’agression a été vue plus de trois millions de fois sur Youtube et a donné lieu à de nombreux détournements en ligne.
Le réflexe antinazi ancré dans la culture populaire
Dans le but de rappeler le soi-disant ancrage de cet acte dans la tradition américaine, des internautes font référence à la pop culture. L’aventurier Indiana Jones se bat contre des soldats nazis dans plusieurs de ses films et le héros du premier Captain America, comics sorti en 1941, donne une raclée mémorable à Hitler.
As American as apple pie. https://t.co/WQ4z2UgWts
— GerryDuggan (@Gerry Duggan)
« Aussi américain que la tarte aux pommes », estime Gerry Duggan, auteur américain de comics.
Comme le rappelle le site Mother Jones, l’histoire elle-même est pleine de confrontations physiques avec les partisans du IIIe Reich et leurs semblables. De la bataille de Cable Street à Londres, en 1936, où des milliers de fascistes ont été empêchés de manifester par une gigantesque coalition de juifs, de dockers et de communistes, à la marche « Death to the Klan » en Caroline du Nord, en 1979, au cours de laquelle trois manifestants antifascistes ont été tués.
Le débat est revenu en boucle sur Twitter et dans les médias en ligne après les événements de Charlottesville : « Is it OK to punch a Nazi ? » (« Est-ce acceptable de frapper un néonazi ? ») Les partisans de la méthode forte s’accordent pour trouver cet acte jouissif et symbolique nécessaire à la lutte contre la résurgence d’idéologies fascistes.
Répondre à la violence par l’ignorance
En face, certains utilisateurs leur répondent que le nazisme a beau être une opinion révoltante, la violence n’est probablement pas la méthode la plus efficace.
Le site d’information américain Vice est allé poser la question à Randy Cohen, spécialiste des questions d’éthique. Pour lui, la réponse est simple : « Non. Vous ne pouvez pas frapper les gens au visage, même si leurs idées sont odieuses. » Dans une société où prévaut la liberté d’expression, l’auteur américain estime que répondre par la violence revient à imiter les méthodes des antidémocrates.
Selon le philosophe slovène Slavoj Zizek, interrogé par Quartz, plutôt qu’un coup de poing, les opposants au fascisme doivent opter pour la violence passive et symbolique de Ghandi, faite de grèves et de manifestations pacifiques. Les nazis ou assimilés comme Jason Kessler et Richard Spencer doivent être ignorés, traités comme des non-personnes, puisque les toucher leur apporte de la reconnaissance.
La lutte pour la justice est nécessairement subversive
Des arguments balayés par le Sud-Africain Tauriq Moosa dans une tribune du Guardian. Le chroniqueur considère qu’il s’agit d’un véritable dilemme éthique qui fait entrer deux règles morales en concurrence : « La violence, c’est mal » et « combattre le nazisme, c’est bien ». Pour lui, la normalisation des idées suprémacistes impose l’instauration d’une nouvelle règle morale selon laquelle il faut lutter contre le climat social qui accepte et nourrit le racisme.
« Frapper un nazi, c’est affirmer que les idées racistes ne seront pas tolérées. Cela signifie que les gens qui veulent me voir moi et ma famille assassinés ne méritent pas le même respect que les autres. »
Pour appuyer son propos, Tauriq Moosa renvoie à un passage de la lettre de Martin Luther King rédigée en 1963 de sa prison de Birmingham à destination des « Blancs modérés », qui l’ont « gravement déçu ». Le pasteur y déplore :
« Le blanc modéré qui est plus attaché à l’“ordre” qu’à la justice ; qui préfère une paix négative issue d’une absence de tensions, à la paix positive issue d’une victoire de la justice ; qui répète constamment : “Je suis d’accord avec vous sur les objectifs, mais je ne peux approuver vos méthodes d’action directe” ; qui pense de façon paternaliste qu’il peut diriger l’agenda de la liberté d’un autre homme et qui conseille systématiquement au Nègre d’attendre “une saison plus appropriée”. »