Peter Madsen, le 9 mai 2017. / SCANPIX DENMARK / REUTERS

Sur la vidéo, tournée quelques heures après la disparition de la jeune femme, le 10 août, Peter Madsen, en combinaison kaki, une couverture de survie à la main, sourit aux journalistes, venus l’accueillir à sa descente du bateau qui l’a secouru, après le naufrage de son sous-marin, dans le détroit de l’Oresund. Il les rassure : il se porte bien, même s’il est « désolé » que son submersible ait coulé, quelques instants plus tôt.

De la jeune femme, qui a embarqué à bord la veille, en début d’après-midi, pas un mot. Aux enquêteurs qui l’interrogent, il affirme l’avoir ramenée à terre, avant de reprendre la mer. Malgré les soupçons qui croissent de jour en jour, ses amis veulent croire à un malentendu. L’inventeur excentrique de 46 ans, qui les fait rêver depuis des années avec ses défis extravagants, n’est pas un meurtrier.

Aujourd’hui, ils ne savent plus que penser, alors que Peter Madsen a avoué, lundi 21 août, avoir jeté à la mer le corps sans vie de la journaliste, après un accident : une thèse depuis mise en doute, avec la découverte du torse de la jeune femme, dont l’autopsie, rendue publique le 23 août, a révélé que la tête, les bras et les jambes avaient été « délibérément sectionnés » et le corps lesté de métal, pour l’empêcher de remonter à la surface.

Une « personne complexe »

Des deux côtés du détroit de l’Oresund, où le fait divers fascine, on s’interroge désormais sur la personnalité sulfureuse de l’ingénieur danois, surnommé « Rocket Madsen », la « fusée Madsen », que beaucoup connaissent, pour avoir vu un des nombreux documentaires lui étant consacré.

Toujours sous le choc des dernières révélations, le journaliste Thomas Djursing, qui a signé sa biographie en 2014, le décrit comme une « personne complexe ». Dans son livre, il dresse le portrait d’un passionné, un brin « poétique », qui « à plusieurs égards tient plus de l’artiste qui invente des histoires que des machines ».

« Un homme dévoré par une passion tellement illimitée qu’elle lui a coûté des amitiés en série »

Mais incapable du moindre compromis, il suscite aussi bien l’enthousiasme que la haine, précise le quotidien Berlingkse Tidende, qui évoque « un homme dévoré par une passion tellement illimitée qu’elle lui a coûté, depuis l’enfance, des amitiés en série. Et en échange, lui a valu des admirateurs et des soutiens dans la moitié du monde ». Car il a, souligne le journal, « une capacité à faire rêver les gens bien au-delà de leur boulot de 8 à 16 heures et du plat de fricadelle qui les attend à la maison ».

Autodidacte, Peter Madsen construit sa première fusée à 7 ans. Ses parents ont divorcé quand il en avait quatre. Il passe une enfance solitaire auprès d’un père âgé, qui lui parle de voyages sur la lune. Ado, l’inventeur rejoint le Club des amateurs de fusées de Copenhague, mais se retrouve vite isolé : ce qui, pour les autres, n’est qu’un passe-temps, est chez lui une raison de vivre.

Il entreprend d’abord des études d’ingénieur, avant d’abandonner, puis apprend la soudure, et se lance dans la construction de son premier sous-marin. Il en fabrique trois, dont le Nautilus, qui avec ses 18 mètres de long et ses 40 tonnes, devient en 2008 le plus grand submersible privé au monde.

Une carrière émaillée de conflits

La même année, il s’associe à l’architecte Kristian von Bengtson, qui a travaillé pour la NASA. Après les profondeurs, Peter Madsen rêve de partir à la conquête de l’espace. Ensemble, ils fondent la société Copenhagen Suborbitals. L’objectif : lancer dans l’espace le premier vol privé habité. En 2011, ils acquièrent une renommée internationale, en parvenant à propulser un prototype à plus de 3 000 mètres.

Mais le partenariat fait long feu en 2014 et chacun poursuit l’aventure de son côté. Peter Madsen met la rupture sur le compte de son propre « tempérament » et de son « caractère irrationnel ». Sa carrière est ainsi émaillée de conflits. Si le journaliste Thomas Djupsing le décrit comme un homme « charismatique, enthousiaste et inspirant », il est aussi connu pour son entêtement et son sale caractère, « qui lui ont valu, au cours des années, de rompre avec des personnes avec qui ils collaborèrent, sans que personne n’ait jamais rapporté qu’il soit violent », précise cependant le quotidien suédois Svenska Dagbladet.

En 2015, l’association créée pour financer le Nautilus coupe les ponts, après un conflit sur la propriété du submersible. Devant les membres de son conseil d’administration, l’ingénieur affirme que son bateau est maudit :

« Cette malédiction, c’est moi. Il n’y aura jamais de sérénité sur le “Nautilus” tant que j’existerai. »

Les médias danois y voient des propos prémonitoires.

Lundi, l’association Raketsmadsens Rumlaboratorium, qui a financé à hauteur de 300 000 couronnes ses ambitions spatiales, a annoncé qu’elle mettait la clé sous la porte, et a encouragé ses membres à faire un don à l’association Reporters sans frontières, en hommage à la journaliste Kim Wall.

Nouveau rebondissement : la police a annoncé mercredi qu’elle étudiait plusieurs meurtres non résolus, parmi lesquels celui d’une étudiante japonaise de 22 ans, disparue en 1986 lors d’un séjour en Scandinavie, et dont le torse avait été retrouvé dans le port de Copenhague.