Burkina : « Salif Diallo, ses coups d’éclat et sa part d’ombre »
Burkina : « Salif Diallo, ses coups d’éclat et sa part d’ombre »
Par Seidik Abba (chroniqueur Le Monde Afrique)
Notre chroniqueur se rappelle de ses rencontres avec le président de l’Assemblée nationale burkinabée, décédé le 19 août.
A l’Assemblée nationale du Burkina Faso, le 30 décembre 2015, à Ouagadougou. A droite, l’ombre de Salif Diallo. / Sophie Garcia
Juin 2015. Cette année-là, le Parti socialiste (PS) français tient son congrès à Poitiers. Replié à Niamey d’où il prépare la reconquête du pouvoir à Ouagadougou, Salif Diallo, président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso, décédé le 19 août à Paris, ne pouvait manquer ces assises. Il me passe un coup de téléphone avant de s’envoler pour la France : « Je serai au congrès du PS à Poitiers puis je viendrai à Paris. Il faut absolument qu’on se voie, j’ai besoin de toi. » Des jours passent, le congrès du PS se termine et, un matin, je reçois un second coup de téléphone : « C’est Salif, je suis à mon hôtel rue de la Boétie, je t’attends maintenant. »
Toutes affaires cessantes, je déboule rue de la Boétie et trouve Salif Diallo, un homme à la taille imposante mais au physique frêle. « Bonjour Excellence, comment allez-vous ? » A peine avais-je terminé ma phrase qu’il me reprend de sa voix rauque : « C’est moi que tu appelles Excellence ? Avec ton frère Souleymane et Bazoum [actuel ministre nigérien de l’intérieur], on se partageait le peu d’argent de poche qu’on pouvait avoir pendant nos années de galère sur les bancs de la fac à Dakar. Je te défends de m’appeler Excellence. » Derrière ce récit, qui peut paraître anecdotique, se cache tout l’art de la construction permanente du rapport de forces chez Salif Diallo.
« Je vais retourner à Niamey pour aller ensuite à Ouagadougou. Nous allons bientôt engager toutes nos forces dans la bataille politique pour faire gagner notre candidat, Roch Marc Christian Kaboré, à la présidentielle et notre parti, le Mouvement du peuple pour le progrès [MPP], aux législatives. Il faut que tu sois témoin de cet événement : nous allons gagner », pronostique-t-il.
« Je connais ce pays sur le bout des doigts »
Lorsque le MPP lance sa campagne, le 8 novembre 2015, au stade de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du Burkina Faso, je suis dans les gradins pour écouter Salif Diallo, directeur national de la campagne. Je suis également dans la caravane pour suivre ses meetings de Gaoua (sud-ouest) et de Koudougou (centre-ouest). Chaque soir, à l’abri des regards et dans le plus grand secret, une bagarre éclatait entre Salif Diallo et son médecin, qui se démenait pour le convaincre de se ménager. Lui qu’un accident vasculaire cérébral (AVC) avait contraint, en 2004, alors qu’il était ministre de l’agriculture de Blaise Compaoré, à séjourner longuement à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris. Il en a gardé des séquelles à vie. Au grand désespoir de son médecin, à chaque étape, le directeur national de la campagne prenait la parole pour galvaniser la foule, mais surtout pour annoncer la victoire de Roch « au quart de tour ».
Pour ma part, je n’y croyais pas un seul instant et j’avais dû repartir à Paris avec l’intention de revenir pour le second tour. A ma grande surprise, le candidat du MPP remporte avec près de 54 % des voix la présidentielle dès le premier tour organisé le 29 novembre 2015. Quand Salif Diallo et moi nous nous sommes revus en février 2016 à Paris, il n’a pas boudé son plaisir : « Je savais que Roch allait gagner dès le premier tour. Je connais ce pays sur le bout des doigts, je ne pouvais pas me tromper. »
En vérité, ce n’est pas la seule fois que Salif Diallo prend le contre-pied des pronostics. A l’issue d’un sommet extraordinaire, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avait pris acte, en septembre 2015, de la tentative de coup d’Etat du général Gilbert Diendéré et proposé une porte de sortie honorable aux putschistes qui incluait une remise en cause du calendrier de transition.
Salif Diallo refuse cette option : il prend alors sa voiture et fonce avec son fidèle chauffeur, Lamoussa, à Niamey pour trouver le président Mahamadou Issoufou et le président tchadien Idriss Déby, de passage au Niger pour une visite officielle. Il leur arrache une déclaration qui prend le contre-pied du plan de sortie de crise de la Cédéao. La société civile burkinabée s’engouffre dans la brèche et obtient, avec le soutien de la communauté internationale, le retour à la transition civile dirigée par le binôme formé par Michel Kafando et Yacouba Isaac Zida.
« Avec Compaoré, nos chemins se sont séparés »
A l’exception d’un bref exil doré en 2008 à Vienne comme ambassadeur, Salif Diallo a été un acteur central de la vie politique du Burkina Faso de 1986 jusqu’à sa rupture avec Blaise Compaoré en 2014. Il avait alors quitté le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) pour créer le MPP, aux côtés de Roch Marc Christian Kaboré et de Simon Compaoré, actuel ministre de l’intérieur et ancien maire de Ouagadougou.
« Ce qui s’est passé avec Blaise est simple. A partir du moment où on a compris qu’il n’envisageait pas d’alternance et qu’il n’excluait même pas de dévolution monarchique en favorisant l’accession de son frère au pouvoir, nos chemins se sont séparés. Je le lui ai dit en face », m’a-t-il confié à Paris.
Si on le dit fidèle en amitié, Salif Diallo sait faire preuve de franchise brutale envers ses amis et compagnons politiques. Il a aidé le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), du président Mahamadou Issoufou, à accéder au pouvoir à Niamey. Ce qui ne l’empêche pas de critiquer la corruption qui règne au Niger. « J’ai mis vingt-cinq années pour pouvoir construire ma villa à Ouaga. Quand je découvre qu’au bout de deux ans à peine des ministres ont des villas de 600 millions de francs CFA [environ 900 000 euros] à Niamey, je ne me reconnais pas dans ce type de comportement », dit-il ouvertement avec une gestuelle qui traduit bien sa colère.
Comme chez chaque homme politique de cette stature, Salif Diallo a sa part d’ombre. Certains le disent autoritaire et cassant. Au Niger, d’autres lui reprochent de s’être mêlé des affaires nationales au point d’avoir convaincu le chef de file de l’opposition, Seyni Oumarou, de rallier Mahamadou Issoufou. Il y a aussi ces interrogations demeurées sans réponse : quelle a été la part prise par Salif Diallo dans le régime de « rectification » qui a suivi en 1987 la chute et la mort de Thomas Sankara ? Etait-il vraiment présent au Conseil de l’entente (siège du pouvoir à Ouaga après le coup d’Etat de 1987) au moment où l’étudiant Dabo Boukari a été torturé à mort ?
Au regard de l’onde de choc provoquée par l’annonce brutale de la mort de Salif Diallo, à 60 ans, le 19 août à Paris, tout semble indiquer que les Burkinabés ont tourné la page de ces « années sombres ». Ils ne retiennent visiblement de lui que l’homme qui a contribué à les délivrer des vingt-sept années du régime de Compaoré. Le Burkina Faso se prépare à rendre un dernier hommage national vendredi 25 août au président de son Assemblée nationale, dont la dépouille a été rapatriée mercredi 23 août.
Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur, notamment, de Entretiens avec Boubakar Ba : un Nigérien au destin exceptionnel, L’Harmattan, Paris, 2015.