Lors du test du dispositif Aadhar, à Calcutta, en 2012. / BIKAS DAS/AP

C’est une victoire historique pour les libertés individuelles en Inde. La Cour suprême a jugé, jeudi 24 août, que les Indiens bénéficiaient d’un droit fondamental à la vie privée. Cette nouvelle jurisprudence pourrait avoir des implications importantes : il permettrait notamment de restreindre un gigantesque programme de relevé de données biométriques de la population et servir de fondement à la dépénalisation de l’homosexualité. « L’Inde ne pouvait espérer plus beau cadeau pour le 70e anniversaire de son indépendance », s’est félicité le quotidien indien Hindustan Times.

Introduit en 2009, le projet Aadhaar (« fondation » en hindi) est le plus grand relevé d’identité numérique au monde, avec près d’un milliard de citoyens. Les habitants s’enregistrent en donnant leurs empreintes digitales et d’iris, leur adresse, leur numéro de téléphone, leur date de naissance. Ils reçoivent en échange un numéro d’identité unique qui leur permet d’accéder à de nombreux services publics.

L’homosexualité, encore un tabou

Présenté à l’origine comme fonctionnant sur la base du volontariat, il est devenu, au fil des ans, indispensable pour ouvrir un compte bancaire, passer des examens scolaires ou bénéficier d’une carte de subvention des produits de base. Plusieurs ONG s’inquiètent du danger de l’utilisation de ces données pour le respect de vie privée mais aussi des risques de fuites informatiques.

En mai, des chercheurs indiens sont parvenus à extraire des sites Internet d’organismes publics les données de 130 millions de titulaires de la carte Aadhaar, y compris leurs coordonnées bancaires, leur religion ou leur caste. Les détracteurs de ce programme estiment que la récolte de données biométriques équivaut à une violation de l’intimité et que l’exploitation des informations par l’Etat augmente les risques de surveillance.

Le gouvernement de Narendra Modi affirme au contraire que ce programme permet d’éviter que les subventions publiques ne soient détournées par des usagers qui se cachent sous de multiples identités. Il a plaidé devant la Cour suprême qu’il n’existait pas de « droit général ou fondamental » à la vie privée en Inde et que le droit à disposer de son propre corps n’était pas « absolu ». « Le même refrain selon lequel les pauvres n’ont pas besoin de droits civiques et politiques et ne s’inquiètent que de leur bien-être économique a été utilisé tout au long de l’histoire en entraînant les violations des droits de l’homme les plus ravageuses », a rétorqué la Cour suprême.

Les juges ont reconnu le caractère fondamental et « naturel » du droit à la vie privée au motif que « vivre sa vie dans la dignité est essentiel pour que l’être humain jouisse des libertés, lesquelles forment la pierre angulaire de la Constitution ». La question de constitutionnalité de la vie privée étant désormais réglée, la Cour suprême pourra, durant les prochains mois, examiner la série de recours déposés contre le programme Aadhaar.

Les partisans de la dépénalisation de l’homosexualité, un sujet encore tabou en Inde, espèrent que la décision de la plus haute juridiction pourra également servir leur cause. Dans un précédent arrêté, en 2013, les juges suprêmes avaient considéré qu’il revenait au Parlement de statuer sur l’article 377 du code pénal, hérité de la période coloniale et qui criminalise une orientation « contre l’ordre naturel ». Jeudi, les juges ont cette fois souligné que « la discrimination contre un individu sur la base de son orientation sexuelle [était] une atteinte profonde à la dignité et au respect de l’individu ».