Les joueurs du Stade Français à l’entraînement face à l’equipe d’Allemagne sur le terrain de  la Wild Rugby Academy (WRA) à Heidelberg (Allemagne), le 8 août. / ARGUEYROLLES LAURENT / PRESSE SPORTS

Les « buissons en fleurs » sont toujours là. Les ruelles escarpées « adossées aux collines ou ornant les rivages » de l’ode à Heidelberg du poète Friedrich Hölderlin aussi. Depuis, les terrains de rugby ont fait leur apparition : la ville allemande des étudiants est aussi devenue celle des rugbymen. Y compris ceux du Stade français, le club historique de Paris, dont l’histoire s’écrit désormais de part et d’autre du Rhin.

Un investissement de 30 millions d’euros dans les trois saisons à venir pour le Stade français

Depuis deux mois, le nouveau patron du Stade français s’appelle Hans-Peter Wild, 75 ans et 52e fortune de Suisse, où il réside. L’homme apprécie Paris pour l’avoir découverte dans ses années estudiantines, et cela fait dix ans que ce milliardaire allemand veut faire de son pays une puissance émergente de l’Ovalie grâce à la Wild Rugby Academy (WRA), centre d’entraînement officieux de l’équipe d’Allemagne, où les Parisiens viennent de s’entraîner pendant cinq jours avant le lancement de la saison. Samedi 26 août, de retour au stade Jean-Bouin, les « stadistes » s’apprêtent à recevoir les Lyonnais en ouverture du championnat de France, le Top 14.

« Le docteur Wild sauve financièrement le club. Avec beaucoup de respect, j’ai envie de dire qu’on a tiré le gros lot », reconnaissait Pascal Papé, ancien deuxième-ligne du Stade français croisé en juin en plein repérage à Heidelberg. Comprendre : un investisseur capable de dépenser 30 millions d’euros dans les trois saisons à venir pour ce club qui a failli péricliter au mois de mars. L’ancien président, Thomas Savare, menaçait alors d’une fusion avec les voisins du Racing.

Formation de jeunes Allemands à Paris

Robert Mohr suivait l’histoire depuis l’Allemagne. Le manageur de la Wild Rugby Academy a fini par appeler Papé, son ancien coéquipier à Bourgoin-Jallieu, alors à l’initiative d’une grève des joueurs contre la fusion : « Cette histoire m’a montré qu’il y avait une grosse âme dans ce club, des valeurs, de l’identité, et tout ça m’a donné envie de me renseigner. » Et surtout, d’inciter Hans-Peter Wild à se pencher sur le cas parisien.

L’ancienne maison du milliardaire, sur les hauteurs de Heidelberg, sa ville natale, sert désormais de siège à l’académie de rugby, qui représente 3 millions d’euros d’investissements par an. A quelques minutes en voiture, des bâches bleues « Capri-Sun » habillent le bord du terrain désormais synthétique, conçu pour résister aux assauts de l’hiver. La marque de jus de fruits, qui a fait la fortune familiale, finance aussi bien l’équipe nationale d’Allemagne que le Stade français.

Ainsi va « le nouveau rugby » professionnel, de plus en plus « dépendant d’hommes d’affaires », constatait déjà Papé. En contrepartie, les joueurs du Stade français joueront avec le logo du juteux sponsor sur leur maillot, comme ceux de l’équipe d’Allemagne. Le club parisien envisage également de recevoir dans son centre de formation de jeunes espoirs repérés sur tout le territoire allemand. Robert Mohr espère en « envoyer le plus tôt possible », mais annonce aussi un projet d’envergure : la création à Heidelberg d’un vaste complexe de 3 600 m2, autrement plus vaste que le bâtiment d’aujourd’hui et sa salle de musculation.

L’école des internationaux allemands

L’« Academy », en attendant, mise sur son équipe d’adultes. Un groupe de 20 à 25 joueurs payés à temps plein pour s’entraîner ensemble et représenter l’Allemagne. Une bonne chose selon le sélectionneur sud-africain Kobus Potgieter : « En Afrique du Sud, le rugby est la passion de notre vie, on a la possibilité de devenir joueur professionnel. En Allemagne, c’est en général un hobby, quelque chose que les jeunes font sur leur temps libre. Et quand ils finissent l’école, quand ils commencent à étudier, ils mettent ce hobby de côté. »

En échange de son financement, une structure privée a pris la main sur une sélection nationale

Ainsi va, là aussi, le nouveau rugby : en échange de son financement, une structure privée a pris la main sur une sélection nationale, sur ses entraînements et le droit de commercialiser son maillot. Selon le dispositif mis en place il y a deux ans, l’Academy verse aux joueurs un salaire pouvant aller jusqu’à 3 000 euros mensuels. Loin des 19 000 euros brut en moyenne dans les clubs français du Top 14, selon les estimations du quotidien L’Equipe.

Au menu de midi, barbecue et salade, diététique oblige : ce jour de juin, les joueurs disputaient l’un de leurs derniers entraînements de la saison. Parmi eux, Michael Poppmeier et sa barbe de deuxième-ligne : « Ici, quand je vais chez le docteur, si je dis que je joue au rugby, le docteur répond : qu’est-ce que c’est, le rugby ? Et si je me promène avec un œil au beurre noir, on me demandera : mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? En Afrique du Sud, ils diraient : ah ouais, il joue sûrement au rugby ! » En vertu de ses origines familiales, le senior de 35 ans fait partie des Sud-Africains habilités à jouer pour la Nationalmannschaft.

Initiations dans les écoles

Les contrats demandent aussi aux joueurs d’animer des initiations dans les gymnases d’une vingtaine d’écoles du coin. Voire, pour certains, d’entraîner des équipes de jeunes. « On ne demande pas aux écoliers de se mettre en ligne et de faire des plaquages ou des passes. On leur fait faire des jeux pour qu’ils prennent du plaisir », résume le Français Harris Aounallah, international allemand par sa grand-mère. Au terme de sa première année à la Wild Rugby Academy, l’ancien espoir du Stade rochelais a prévu de retourner en France dès la rentrée.

En cause : le faible niveau du championnat d’Allemagne. Les « académiciens » doivent en effet jouer, le week-end, dans un club allemand de leur choix. « Le niveau ne me convient pas », reconnaît le jeune homme. A 23 ans, il restera sélectionnable en équipe d’Allemagne mais jouera désormais à Dijon, signe que même la troisième division française lui semble d’un tonnage plus relevé que la Bundesliga. Comme nombre de ses coéquipiers de la sélection, Harris Aounallah a gagné l’an passé le championnat d’Allemagne avec le Heidelberger Ruderklub (HRK) 1872.

Le bastion du rugby d’outre-Rhin

La Wild Rugby Academy s’entraîne justement sur les installations du plus vieux club de rugby allemand. Le HRK a débuté dans la lignée des universités britanniques : ses étudiants fondateurs le dotèrent aussi d’une section d’aviron pour ramer sur le Neckar. Ce passé a toujours fait de Heidelberg « le bastion du rugby allemand », selon Hans-Joachim Wallenwein, vice-président de la Fédération allemande de rugby (DRV), de passage au club ce matin-là.

Dans ses bureaux de Hanovre, la « fédé » allemande assiste comme elle peut à l’évolution de son sport : elle compte aujourd’hui 15 300 licenciés, contre un peu moins de 9 700 il y a dix ans. Peut-être la relève d’une sélection allemande, qui rêve toujours d’une qualification inédite pour la Coupe du monde, à commencer par celle de 2019 au Japon.

En février, le pays a déjà vécu un premier frisson et une légère exposition médiatique : en championnat européen des nations, les Allemands ont battu pour la première fois la Roumanie, une habituée du Mondial. 2 300 spectateurs ont assisté à la scène, à Offenbach-sur-le-Main, située à une petite centaine de kilomètres de Heidelberg.