La mine Cana Brava, détenue et exploitée par SAMA SA, fait partie du groupe Eternit. A Minacu, dans le nord de l’état de Goias, le 17 janvier 2013. / Ueslei Marcelino / REUTERS

Quelques minutes après le scrutin, le nom des quatre juges honnis circulait sur les réseaux sociaux avec pour légende : « Voici les juges de la Cour suprême en faveur du cancer et de la mort. » Jeudi 24 août, ces magistrats de la plus haute juridiction brésilienne venaient de se prononcer en faveur de la poursuite de l’utilisation de l’amiante au Brésil, empêchant que ce matériau responsable de cancers de la plèvre, d’asbestose – grave infection pulmonaire – et de certains cancers du poumon soit définitivement banni du Brésil.

« En tant que citoyenne on ne peut qu’être révoltée, après tous ces morts », enrage Fernanda Giannasi, cette ex-inspectrice du travail surnommée la « Erin Brockovich do Brasil » qui a consacré plus de trente ans de sa vie à faire entendre la cause des victimes de l’amiante.

Ce matériau dont les qualités de résistance et de souplesse sont exceptionnelles ferait, selon l’Organisation mondiale de la santé, 107 000 morts chaque année. Au Brésil, Francisco Pedra, chercheur à la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) à Rio de Janeiro, a recensé 3 700 décès entre 1980 et 2010. Un chiffre sans doute sous-estimé, dit-il. « L’amiante a été utilisée dans la construction de toits, de citernes d’eau, de cloisons… Elle est disséminée dans tout le Brésil. Les cancers peuvent mettre des dizaines d’années à se révéler. »

Producteur et exportateur du matériau, le Brésil ne possède plus qu’une seule mine d’amiante, dans l’Etat de Goias, exploitée par le groupe Eternit. « A quel point le pays en est-il arrivé ! Imaginez qu’une mine qui emploie 150 travailleurs justifie de tuer des centaines de milliers de personnes non seulement au Brésil, mais dans le monde entier. Le Brésil exporte la moitié des 300 000 tonnes produites ici par an. C’est une exportation de la mort ! », s’indigne le pneumologue Hermano de Castro, directeur de l’école nationale de santé publique de Fiocruz, interrogé par la revue Epoca le 23 août.

Interminable bataille

Dans le pays, une loi fédérale datant de 1995 autorise encore l’utilisation « contrôlée » de l’amiante blanche, la chrysotile. Mais certains Etats brésiliens, tels ceux de Sao Paulo ou de Rio de Janeiro, interdisent totalement le minerai. Acharnée, la Confédération des travailleurs de l’industrie (CNTI) lance depuis le début des années 2000 des procédures contre ces Etats, les estimant en contradiction avec la loi fédérale. Au dire des victimes, la CNTI représente en réalité les intérêts des professionnels de l’amiante. En particulier ceux d’Eternit, qui n’a pas souhaité s’exprimer.

Tentant de clore cette interminable bataille judiciaire, et consciente des éléments à charge contre l’amiante, la Cour suprême s’est enfin penchée sur la pertinence de la loi fédérale. La guerre semblait gagnée. « Le rapporteur du dossier a eu cet argument raisonnable de dire qu’au regard de la connaissance désormais irréfutable des cancers provoqués par l’amiante la loi de 1995 viole la Constitution brésilienne qui doit garantir au travailleur la santé et un environnement équilibré », explique Marc Hindry, vice-président du comité anti-amiante de l’université Jussieu à Paris, qui a suivi les débats.

Mais le Brésil est coutumier des coups de théâtre. « Deux juges ont repris des arguments obsolètes d’un pseudo-scientifique acheté par l’industrie », s’emporte Fernanda Giannasi. Au final la loi a été jugée inconstitutionnelle par cinq voix contre quatre. Il en fallait six pour que le texte soit révoqué. La décision plonge ainsi le pays dans un vague juridique inédit.

Après un moment d’écœurement, les militants anti-amiante ont toutefois repris espoir. La décision est, malgré tout, en leur faveur : l’industrie aura désormais tort devant les tribunaux, et le marché de l’amiante s’effondre. Après avoir été interdit dans plus d’une soixantaine de pays, et mis de côté par les industriels soucieux de leur réputation, tel le français Saint-Gobain autrefois présent au Brésil, le matériau a cessé de représenter un enjeu économique. « Il faudra encore du temps mais nous allons gagner. C’est le sens de l’histoire », assure Fernanda Giannasi.