Tirage au sort à l’université : « J’ai été déshumanisée par un ordinateur »
Tirage au sort à l’université : « J’ai été déshumanisée par un ordinateur »
Par Eric Nunès
Manon, qui a décroché un bac L en juin, n’a pas obtenu de place en faculté de psychologie, une filière très demandée qui attribue des places par tirage au sort.
Quand arrive l’année du bac, nombreux sont les lycéens qui cherchent leur voie. Ils écument les salons étudiants, arpentent les journées portes ouvertes des écoles, sollicitent leurs enseignants, consultent leur famille. Manon, non. En terminale L, la lycéenne de 18 ans n’a aucun doute : son chemin la conduira au métier de psychologue. « Mon projet est de consacrer ma vie aux autres, d’aider ceux qui ont des problèmes mentaux, qui sont enfermés dans les hôpitaux, les comprendre », dit-elle.
A l’heure d’inscrire ses souhaits sur la plate-forme Admission postbac (APB), en mars, la jeune Parisienne sollicite une place dans toutes les facs de psychologie de Paris et de sa région, via un vœu groupé, censé maximiser les chances d’obtenir une place dans les filières très demandées. Mais pas pour elle. « Je n’ai pas été tirée au sort. » Elle est toutefois acceptée en histoire à la Sorbonne, un vœu posé par défaut, pour remplir l’obligation de faire au moins un vœu dans une filière non sélective. Son choix de vie professionnelle est alors court-circuité avant même d’avoir commencé.
« J’ai été déshumanisée par un ordinateur, dénonce-t-elle. Je ne demandais pas une grande école, pas un cursus scolaire prestigieux, simplement une petite place dans une faculté publique. Une petite place qui m’aurait permis d’enfin me faire une petite place dans ce grand monde. Dans le monde du travail. »
Le président français, Emmanuel Macron, a rappelé la promesse de son gouvernement de mettre fin au tirage au sort, lors de la prochaine rentrée, dans un entretien au Point le 30 août. Trop tard pour Manon et les milliers d’étudiants dans le même cas. « Monsieur le président, nous sommes en attente sur un site. Sans nouvelles. Aucune », interpelle la jeune femme dans une lettre adressée au Monde.
Les premières semaines de l’été, « j’essayais de me dire que la situation allait se débloquer, qu’une place se libérerait. » Chaque jour de juillet, puis d’août, la néobachelière se connecte à la plate-forme dans l’espoir d’une mise à jour des offres adressées. Mais son statut demeure « « en attente », incertain, sans suite ».
« Messages automatiques »
« J’étais vraiment mal, » confie la jeune fille. Mais elle ne se résout pas à baisser les bras. Carte navigo en main, elle parcourt la région et frappe à toutes les portes des universités parisiennes. Encore en vain : « Les secrétariats nous claquent les portes au nez. Les administrations ne sont pas coordonnées. Elles envoient des messages automatiques nous disant que le seul moyen d’accéder à une université est de passer par APB. Alors que APB n’est pas à jour et que des places subsistent. Mais les administrations se réfèrent à ce système défaillant », peste-t-elle.
Toutefois son porte-à-porte lui permet de décrocher une inscription. Le 12 septembre, Manon obtient une place à l’université Paris Diderot (Paris-VII), en licence de lettres et sciences humaines. Ce n’est ni sa voie, ni son choix. « Je conserve juste mon statut d’étudiante », note-t-elle.
La procédure complémentaire d’APB va continuer à distiller les dernières places disponibles jusqu’au 30 septembre. Manon espère encore. Elle a également postulé à Paris-VIII mais pour suivre des cours de psychologie… A distance. Elle a été intégrée sur une liste d’attente. En 1694e position.