Les Insus, le 15 septembre au Stade de France de Saint-Denis. De gauche à droite : Jean-Louis Aubert, Richard Kolinka (batterie), Louis Bertignac et Aleks Angelov. / THOMAS SAMSON / AFP

L’événement devait étrenner leur grand retour, il en sera finalement la quasi conclusion. Sept ans après avoir fait miroiter une reformation fracassante (puis fracassée) de Téléphone pour des concerts au Stade de France, prévus alors en 2012, Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac, Richard Kolinka, mais sans leur bassiste originelle Corine Marienneau, remplacée par Aleks Angelov, donnaient finalement, le 15 septembre, le premier de leurs deux concerts, dans l’enceinte dionysienne, sous le nom des Insus.

Presque deux ans jour pour jour, après un concert surprise, le 11 septembre 2015, devant 300 personnes dans le petit club parisien du Point Ephémère, qui laissait entrevoir le come-back, trente ans après sa séparation, du groupe le plus populaire de l’histoire du rock français, ce sont plus de 80 dates qui ont défilé – devant près d’un million de spectateurs – dans les plus grandes salles et les plus gros festivals de France, avant deux derniers (r)appels prévus les 6 et 7 octobre au Stade de l’Est, à Saint-Denis de la Réunion.

Charme nostalgique

Quelques galops d’échauffement – comme au Splendid, à Lille, le 15 septembre 2015, devant 700 personnes – avaient vite démontré le formidable plaisir de rejouer ensemble pris par le trio (privé du nom de Téléphone à cause d’une fâcherie avec Marienneau) et le pouvoir fédérateur de leurs chansons auprès de fans replongeant dans l’adolescence. Une énergie, un charme nostalgique qui auraient pu ne pas suffire au moment d’investir de plus grandes arènes…

A Saint-Denis, un écran de fond de scène a pris la mesure de l’immense plateau du Stade de France. Après les derniers accords de Gimme Shelter des Rolling Stones (éternelles idoles) diffusés par la sono, un film semble nous faire entrer dans un entrepôt. Sur une plaque métallique, une lance thermique dessine le point d’interrogation rouge devenu le logo du groupe. Une façon sans doute de simuler une devinette pour suggérer qui se cache derrière le patronyme un peu ringard des « Insus ». Qui ? Téléphone, bien sûr, qui entre en scène, illuminé par des lance-flammes, en même temps que de très hard-rock serpents de synthèse glissent sur l’écran pour lancer Crache ton venin.

Chuck Berry et les Rolling Stones

Le morceau, comme les titres qui suivent – Hygiaphone, Dans ton lit, Fait divers – font un peu douter de la capacité du groupe à s’adapter au gigantisme du lieu. La convivialité nostalgique du répertoire manque d’abord d’envergure. Et le classicisme de ses influences (Chuck Berry, Rolling Stones), déjà pas d’une franche modernité à la fin des années 1970, alors qu’apparaissaient le punk et la new wave, sonne comme gentiment désuet.

Le propos se muscle heureusement avec Argent trop cher, hymne toujours actuel sur les méfaits du matérialisme et de la finance. Plongés dans un bain de jouvence électrique, les corps affutés et la joie juvénile d’Aubert, Bertignac et du toujours virevoltant Kolinka ne trahissent pas leurs 62, 63 et 64 ans respectifs.

L’actualité a rattrapé « La bombe humaine », qui se transforme en une troublante évocation des attentats-suicides

L’actualité a aussi rattrapé La bombe humaine. Cette ballade déchirée qui contait le mal de vivre d’une génération se transforme en une troublante évocation des attentats-suicides. Aubert en est conscient qui introduit le morceau en parlant des « enfants du Bataclan » et de « tous les assassins qui s’inventent une philosophie », avant de chanter en chœur avec 80 000 personnes.

Après un 66 heures old-school, qu’il dédie au bon rétablissement de Johnny Hallyday, Louis Bertignac se lance dans Cendrillon, sous un nuage de paillettes projetées dans le ciel parisien. Quand leurs héros (Stones, Lou Reed) évoquaient la dépendance aux drogues dans des hymnes à l’hédonisme sombre, Téléphone pouvait traiter le sujet via la mélodie tendre d’une « jolie petite histoire ». De la même façon, tension urbaine et troubles existentiels passaient habilement par le prisme d’un lexique lycéen dans Flipper ou le frénétique Métro c’est trop, dont les riffs sont spectaculairement mis en scène au Stade de France.

« Animation lumineuse »

Avant le concert, une annonce sur l’écran géant proposait aux spectateurs de « participer à une animation lumineuse pendant le concert avec [leur] téléphone ». En choisissant son nom, il y a 40 ans, le quatuor ne se doutait sans doute pas que cet objet deviendrait le centre nerveux de la vie quotidienne de chacun, pouvant même servir (via une application) à assurer un lightshow. Censé se déclencher au moment de la berceuse Le jour s’est levé, l’application en question colorait de bleu les smartphones pour un résultat moins impressionnant qu’escompté.

Plus qu’aux nouvelles technologies, les Insus se fient finalement à l’efficacité éprouvée du son ample de Dure limite et de la félicité communicative de New York avec toi, avant une version accélérée d’Un autre monde aux résonances nouvellement écologiques. Un premier rappel tentait de donner un groove « princier » à Electric cité, puis d’inclure le Whole Lotta Love de Led Zeppelin au cœur d’un Ça (c’est vraiment toi) aux allures de duel instrumental entre les deux guitaristes, heureux comme des gamins.

Dans un Stade de France entièrement éclairé pour que les musiciens profitent au mieux de la foule, Les Insus en terminent avec l’adieu bluesy de Tu vas me manquer, sans qu’on sache si les ex-Téléphone raccrocheront vraiment après cela. De cette tournée restera en tout cas le témoignage d’un triple album en concert, L?ve, enregistré à l’AccorHotels Arena et dans la petite salle parisienne du Trabendo, et un épais livre de photos, L’insu des Insus de Barbara D’Alessandri (Sonatine Editions, à paraître en novembre), réalisées dans les coulisses de ces retrouvailles.

Les Insus, L?ve, 3 CD Parlophone/Warner

Concert : le 16 septembre, au Stade de France, Saint-Denis ; les 6 et 7 octobre, au Stade de l’Est, à Saint-Denis de La Réunion.