TV : « Flowers », la belle cueillette
TV : « Flowers », la belle cueillette
Par Renaud Machart
A voir. La minisérie britannique de Will Sharpe laisse d’abord le spectateur dubitatif pour le plonger ensuite dans un univers onirique et surréaliste extrêmement prenant (sur Canal+ Séries à la demande).
TRAILER: Flowers | Watch the full series on All 4
Durée : 01:01
Les dégelées de séries, à la télévision, sur le Net et les plates-formes du type Netflix ou Amazon Prime Video, sont d’une telle intensité qu’il arrive qu’on en rate certaines, parmi lesquelles se trouvent, à l’occasion, des pépites. C’est le cas de Flowers, minisérie britannique diffusée au Royaume-Uni sur Channel 4 en 2016, puis par Canal+ Séries en juillet – et qui figure toujours au menu de son service de visionnage à la demande.
La rater, ou la mettre de côté après deux ou trois épisodes, était d’ailleurs d’autant plus probable qu’après la surprise d’un début excentrique rien ne semblait « prendre » dans ce propos entre deux eaux signé du réalisateur britannique d’origine japonaise Will Sharpe. La famille Flowers, sujet et cadre de la série, est passablement foutraque. Maurice, le père, est un écrivain dépressif et suicidaire. La mère, professeure de musique – grandes dents et sourire béat –, est surtout intéressée par deux jeunes voisins pourtant peu intéressants, tandis qu’un troisième, auquel elle n’accorde pas le moindre égard, la convoite.
Le fils, Donald, est un Géo Trouvetou toujours entre deux inventions qui ne passeraient pas l’admission au concours Lépine, tandis que la fille, Amy, encore adolescente, est en transition désirante vers les femmes (elle sera bientôt l’objet des attentions lourdingues de son frère). La grand-mère est en partie sur une autre planète et va réussir ce que le père n’a pas su mener à bien.
Angus Wright (George) et Georgina Campbell (Abigail) dans « Flowers », série créée par Will Sharpe. / ENDEMOL SHINE INTERNATIONAL/DES WILLIE
A ce quintet familial s’ajoute un pensionnaire, Shun, jeune dessinateur japonais dont les mangas trahissent une libido titillante. Il travaille avec le père, auteur des textes de bandes dessinées dont il signe les illustrations. Son rôle est interprété avec beaucoup de fantaisie par le réalisateur lui-même.
Tout cela rappelle des situations familiales vues des dizaines de fois au cinéma et à la télévision. Mais, bientôt, ces « Tuche intellos » vont révéler des fêlures et des dysfonctionnements, et le propos va basculer dans une noirceur que les éléments dramatiques du début, traités sur le ton de la comédie, ne laissaient pas prévoir.
Flowers: Life is Like a Toilet
Durée : 01:22
Et c’est ce mélange de registres, ces chauds-froids et ces saveurs douces-amères qui font le prix de cette minisérie : une fois qu’on l’a vue en entier, Flowers s’impose comme un ovni dans sa catégorie. Will Sharpe fait exploser le cadre narratif par des séquences oniriques surprenantes, des traitements poétiques de l’image, tout en conservant, du début à la fin, un humour excentrique qui donne à la noirceur du propos une lumière d’espoir et de réconfort.
De sorte qu’on se trouve, à mi-course, happé par cette énigmatique singularité, dont on se permettra de dire qu’elle nous paraît à cent lieues des mystères grotesquement appuyés de la troisième saison de Twin Peaks, qui vient de s’achever. Les références de Will Sharpe ne vont d’ailleurs pas vers David Lynch – sauf pour ce qui est du cadre, provincial et forestier. La scène où, au bord du désespoir et ivre mort, Shun voit les fantômes de sa famille japonaise dans une clairière baignée d’un blafard clair de lune fera naturellement penser à Twin Peaks. Mais, s’il a dit son admiration pour Mad Men, Les Soprano, Breaking Bad ou The Wire, Will Sharpe se revendique davantage de l’influence, plus subtilement infusée, d’écrivains qui lui sont chers, tels Murakami, Tchekhov et Beckett.
Flowers, série créée par Will Sharpe. Avec Olivia Colman, Julian Barratt, Will Sharpe (R.-U., 2016, 6 × 30 min).