L’Eglise togolaise apporte son soutien à la rue qui veut le départ du président Gnassingbé
L’Eglise togolaise apporte son soutien à la rue qui veut le départ du président Gnassingbé
Par Christophe Châtelot (Lomé, envoyé spécial)
Depuis août, d’importantes manifestations se succèdent à Lomé alors que le Parlement doit examiner une réforme constitutionnelle.
Manifestation à Lomé le 7 septembre 2017. Selon Amnesty International, plus de 100 000 personnes sont descendues dans la rue pour réclamer le départ de Faure Gnassingbé, président depuis 2005 après avoir succédé à son père après trente-huit années au pouvoir. / PIUS UTOMI EKPEI/AFP
En sa cathédrale du Sacré-Cœur de Jésus sise au centre-ville, Mgr Denis Amouzou-Dzakpa a été habitué à un décorum plus flatteur. Dimanche 17 septembre, comme c’est le cas depuis l’incendie accidentel et partiel de sa cathédrale blanche et rose, en avril, l’archevêque de Lomé s’est contenté d’une tente dressée dans la cour de l’édifice religieux pour dire la messe. Les centaines de fidèles sont assis sur des chaises en plastique. Sur leur dossier, on ne sait quel fabricant a moulé le slogan : « Just be happy ».
Contents, les fidèles semblaient en effet l’être à la sortie de l’office. Il faut dire que l’archevêque n’avait pas mâché ses mots à l’encontre du régime du chef de l’Etat togolais Faure Gnassingbé, confronté depuis mi-août à une vague inédite de protestation populaire appelant à son départ d’un pouvoir qu’il occupe depuis 2005, succédant aux trente-huit années de présidence de son père, Gnassingbé Eyadéma.
« L’église est enfin sortie de sa réserve pour dénoncer cinquante ans de pouvoir entre les mains d’une même famille », lâchait Anthony, un frigoriste de 51 ans venu avec toute sa famille se réjouir du sermon de l’archevêque. Le même Anthony considérait toutefois, avec une prudence compréhensible, que le poids des mots du religieux n’étaient pas encore une garantie suffisante pour que lui, « simple Togolais » sorti de l’anonymat pour braver le pouvoir. Certes la contestation monte, comme l’a montré l’ampleur les manifestations du 19 août suivies de celles des 6 et 7 septembre, mais rien n’indique non plus que le régime est sur le point de flancher.
« Cinquante ans, ça suffit ! »
Dimanche, soit trois jours avant une nouvelle manifestation à l’appel de l’opposition, Mgr Amouzou-Dzakpa a toutefois lu à son assemblée réunie sous la tente la lettre rédigée quelques heures auparavant par la Conférence des évêques du Togo. Une lettre que l’opposition togolaise pourrait reprendre à son compte. Car, si les plus hautes autorités religieuses du pays ne surprennent pas en s’inquiétant « des vives tensions sociopolitiques des dernières semaines », en exprimant « ses plus vives inquiétudes devant la répression exercée après les manifestations par les forces de sécurité », elles se placent sur la même ligne que l’opposition en invitant les autorités en place à « opérer urgemment les réformes conformément à la Constitution de 1992 ». Autrement dit, revenir au texte fondamental en vigueur il y a un quart de siècle qui édictait qu’aucun Togolais ne pouvait prétendre à la présidence s’il avait exercé plus de deux mandats. Cela revient à interdire au président actuel de briguer un autre quinquennat alors que le Parlement s’apprête à débattre d’une réforme constitutionnelle. Dans les rues de Lomé, les gens l’expriment plus crûment, et plus impatiemment, par « Cinquante ans, ça suffit ! » ou « Faure, dehors ! ».
Cette réforme catalyse le mécontentement. Rédigée par le pouvoir qui la présente comme un signe d’ouverture, elle rétablirait, certes, le principe d’une élection présidentielle à deux tours, contre un actuellement, et limiterait le nombre maximum de mandats à deux. Mais ce qui est inacceptable pour l’opposition, c’est que le nouveau texte remettrait à zéro le compteur des mandats dès son adoption, sans rétroactivité. Autrement dit, Faure Gnassingbé s’achèterait ainsi une virginité élective l’autorisant théoriquement – lui, né en 1966, élu une première fois en 2005 à l’issu d’un sanglant tour de passe-passe législatif après la mort naturelle de son père – à se présenter pour un « premier » mandat en 2020. Voire un second en 2025.
Un chiffon rouge pour l’opposition, et, depuis dimanche, pour l’Eglise. Les autorités ont compris le message en rétorquant que les évêques étaient sortis de leur rôle. Reste à voir si le poids spirituel de l’Eglise dans un pays majoritairement catholique sortira des enceintes religieuses pour descendre dans la rue, là où pourrait s’inverser le rapport de forces politiques.