Un trafic international de pesticides jugé à Marseille
Un trafic international de pesticides jugé à Marseille
Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
L’affaire met au jour une fraude économique visant à contourner la réglementation sur les autorisations d’importation.
Un agriculteur pulvérise des produits phytosanitaires, dans le Nord, en août 2017. / PHILIPPE HUGUEN / AFP
Un magnat sud-africain du commerce, un chimiste français de renom européen, un fournisseur allemand et un distributeur monégasque de pesticides : c’est un concentré du « tout petit monde des produits phytosanitaires » qui a occupé le banc des prévenus du tribunal correctionnel de Marseille, durant trois jours, jusqu’à mercredi 20 septembre.
Des condamnations allant jusqu’à deux ans de prison ferme et des amendes jusqu’à 150 000 € ont été requises contre les cinq prévenus et deux sociétés, jugés pour une tromperie commise entre 2006 et 2008, et pour le délit de mise sur le marché, sans autorisation, de six produits phytosanitaires. Selon l’accusation, il s’agit du « premier dossier d’ampleur sur un trafic international de produits phytopharmaceutiques ». Le jugement sera rendu le 18 octobre.
Les premières révélations de l’enquête, en 2007, avaient justifié que l’affaire soit instruite par le pôle santé publique du tribunal de Marseille. La société BASF Agro qui fabrique le fongicide Ipromex 50 WP avait été alertée par des maraîchers au sujet d’une texture et d’une couleur suspectes de ce produit, intrigués aussi par un prix anormalement bas. Dans un lot d’Ipromex distribué dans les Bouches-du-Rhône et la Loire-Atlantique, la substance active fongicide entrant habituellement dans sa composition – l’Iprodione peu toxique –, avait été remplacée par une substance insecticide, le pyrimicarbe, d’« une toxicité aiguë pour les utilisateurs » selon l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
« Du plomb dans l’aile »
L’analyse du circuit de distribution permettait de remonter à un fournisseur allemand, la société Endres Merath, devenue MAC GmbH dirigée par Michaël Merath, à la réputation de « pirate », selon un cadre d’une multinationale.
L’enquête n’a pas révélé d’autres atteintes à la santé mais a mis au jour une fraude économique consistant à contourner la réglementation sur les autorisations d’importation parallèle. Afin de faciliter la libre concurrence au sein de l’espace économique européen, cette procédure communautaire permet d’obtenir du ministère de l’agriculture une autorisation de commercialisation sur le marché français de produits phytopharmaceutiques fabriqués à l’étranger.
Le pesticide doit pour cela remplir plusieurs conditions : il lui faut bénéficier à la fois d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France et dans le pays d’où il provient, il doit être fabriqué par la firme détentrice de l’AMM ou une entreprise sous licence avec celle-ci, enfin sa composition doit être strictement identique. Ces autorisations sont accordées sur dossier.
« Apprentis sorciers »
L’affaire jugée à Marseille révèle les failles de cette procédure qui interdit tout contrôle. « On est dans l’illusoire. Ce système déclaratif basé sur la confiance a du plomb dans l’aile », a résumé la présidente du tribunal, Christine Mée. Même analyse de la part du procureur, Franck Lagier : « Ces apprentis sorciers se sont engouffrés dans les brèches d’une réglementation européenne pour inonder le marché français [le 1er européen et 5e mondial] de produits illicites au mépris des risques sanitaires encourus. » Un des prévenus, ancien président d’une commission au sein de l’Union des industries de la protection des plantes, a clairement reconnu que « cela ne se passe pas » comme l’exige la réglementation.
Des produits distribués en France sous couvert d’une importation parallèle avaient en réalité été fabriqués par la Société industrielle des produits chimiques (SIPC) à Courchelettes (Nord). Ils étaient ensuite expédiés dans un entrepôt en République tchèque où ils étaient étiquetés avant d’être réintroduits sur le marché français par Sanigene, une société de Monaco, pour le compte d’un distributeur français, Chimik 2 Paris.
Dans un second volet du dossier – qui sera jugé en 2018 –, ce sont environ 100 000 litres de Lutesate 360 – un herbicide à base de glyphosate –, qui auraient été commercialisés en France par MAC GmbH, en violation de l’autorisation d’importation parallèle accordée à Chimik 2 Paris. Des opérations de réétiquetage se seraient déroulées dans des entrepôts des Bouches-du-Rhône, selon la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires et phytosanitaires.
Une « éminence » dans la profession
Devant le tribunal, les cinq prévenus ont contesté toute volonté de masquer la traçabilité des produits litigieux vendus en France, similaires aux produits bénéficiant d’une AMM. A la tête de la SIPC, Alain Goubel, 73 ans, un chimiste français reconnu comme « une éminence » dans sa profession, a dit ignorer la destination des produits finis. Il s’est présenté comme un formulateur recevant la formule chimique, assurant que les étiquettes à coller sur les bidons et la commercialisation ne le concernaient pas.
Michaël Merath, le distributeur allemand, a, pour sa part, martelé avoir respecté les autorisations d’importation parallèle dont ses sociétés bénéficiaient, même lorsque la présidente du tribunal lui a fait la démonstration contraire. A la tête d’un groupe sud-africain, Robert Maingard, 81 ans, n’a reconnu que la livraison à SIPC de matière active en provenance de Chine et d’Inde. Il a soutenu ne pas s’être intéressé à la commercialisation des produits via Sanigene, la société monégasque dont il était le propriétaire.
Evoquant « un vaste réseau qui a prospéré pendant plusieurs années », le procureur Franck Lagier a requis trois ans de prison dont un an avec sursis et 30 000 € d’amende contre Michaël Merath et 150 000 € contre sa société, les seuls à être poursuivis pour tromperie aggravée en raison de la commercialisation de l’Ipromex frelaté.
Des peines allant de dix-huit mois de prison à deux ans, dont six mois avec sursis à chaque fois, ont été réclamées contre les quatre autres prévenus et une amende de 100 000 € a été requise contre la SIPC. Parties civiles, quatre fabricants (Bayer, BASF, Adama et Syngenta) ont réclamé plus de 4,4 millions d’euros de dommages et intérêts, dénonçant eux aussi « une réglementation défaillante ».