Khaled Rabie quitte la mosquée pour retrouver sa petite famille après la prière de nuit du ramadan. A Faysal, un quartier populaire de Gizeh, la grande ville voisine du Caire, cet homme à tout faire de 27 ans, originaire d’un milieu pauvre de Moyenne-Egypte, vit avec sa femme et leur jeune fils de 8 mois dans une rue étroite et cabossée, où seuls les tuks-tuks (tricycles à moteur) osent s’aventurer. « Je jeûne depuis l’âge de 6 ans », précise fièrement Khaled dans un large sourire lorsqu’il gagne son appartement, la voix couverte par le bruit des Klaxon, du mégaphone grésillant de la mosquée et des innombrables petits bazars qui fourmillent au bas des immeubles. « A l’époque, mon père me donnait 25 centimes et c’était suffisant pour m’acheter de quoi rompre le jeûne, se souvient Khaled, habillé d’une chemise rose pâle et d’un pantalon de costume gris. Aujourd’hui, que pourrais-je acheter avec cette somme ? »

Mois sacré pour les musulmans, le ramadan constitue également une période bénie pour la consommation. Mais, dans une Egypte en plein marasme économique, la hausse des prix réfrène considérablement l’appétit des jeûneurs. Dans le cadre d’un accord de prêt de 12 milliards de dollars (10,7 milliards d’euros) signé en novembre 2016 avec le Fonds monétaire international, Le Caire a dû laisser dévaluer sa monnaie, la livre égyptienne, et réduire drastiquement les subventions d’Etat, notamment dans les secteurs de l’énergie et de l’alimentation. Résultat : l’inflation annuelle s’élève à 31,46 % en avril, selon la Banque centrale d’Egypte.

Privés de gâteaux et de biscuits

Au cœur d’un salon presque vide, où un ventilateur tourne à plein régime entre deux fauteuils, la table a été débarrassée du repas de rupture du jeûne rapidement avalé. Installé sur une chaise en bois, Khaled Rabie évalue l’évolution de son pouvoir d’achat. « Je travaille plus dur que l’année dernière pour combler la différence, explique le jeune homme aux traits tirés. Je multiplie les petits boulots dans le voisinage, ce qui me permet de compter sur un salaire d’environ 700 livres (35 euros), plus que l’an passé. » Mais ça ne suffit pas : impossible de trouver un kilo de viande à moins de 130 livres et celui du poulet atteint presque 40 livres. « Du coup, on rompt le jeûne avec du foul (fèves), du taamiya (sorte de falafel), des légumes. » La viande restera réservée aux grandes occasions comme la fête de la fin du ramadan, l’Aïd Al-Fitr. « Auparavant, j’en achetais une fois par semaine mais, aujourd’hui, c’est au mieux une fois tous les quinze jours. »

« Je ne peux ni acheter ni cuisiner de bons gâteaux à cause de la hausse du prix du sucre, renchérit Daha Saber, l’épouse de Khaled. Pour un kilo, il faut compter à peu près 10 livres de plus que l’année dernière. » Devenu une denrée précieuse, le sucre n’agrémente plus que l’indispensable thé rouge servi après le repas. Ils sont privés de gâteaux et biscuits.

En robe et voile fleuris, la jeune femme de 23 ans se tient timidement dans un coin du salon, enfoncée dans un vieux fauteuil bas avec son fils Mostafa. « C’est le premier ramadan pour lui, souligne-t-elle en désignant le bébé que Khaled lui prend des mains pour le faire jouer. Bien sûr il est trop petit pour comprendre, mais j’aurais voulu qu’il connaisse ce qu’est la véritable atmosphère familiale d’une rupture de jeûne, avec de bons plats sur la table. Un repas parfait, avec du poulet, du riz, des légumes, cuisinés avec des épices et de l’huile d’olive, coûterait bien 50 livres par jour. Où trouverions-nous cette somme ? Je dois même faire attention aux allumettes que j’utilise car leur prix aussi a augmenté ! »

Un quart des Egyptiens sous le seuil de pauvreté

Khaled et Daha assurent qu’ils ne peuvent compter sur aucune aide de l’Etat. Les semaines précédant le ramadan, les autorités, le président Abdel Fattah Al-Sissi en tête, ont promis un renforcement du soutien aux familles défavorisées à l’occasion du mois sacré. Ce lundi encore, la ministre de la solidarité sociale, Ghada Wally, l’a confirmé à la télévision : 1,3 million de foyers devraient bénéficier d’une augmentation de 30 % des allocations du programme « Solidarité et dignité ». Mais cela reste une goutte d’eau : plus de 25 millions d’Egyptiens, soit près d’un quart de la population, vivaient en 2016 en deçà du seuil de pauvreté, soit 482 livres par mois, d’après par l’agence nationale de statistiques CAPMAS.

« Le problème dépasse celui de la nourriture, lance Daha, dont la timidité semble adoucir la colère. La tradition voudrait aussi que nous achetions de nouveaux vêtements pour le bébé à l’occasion de l’Aïd. Mais ce sera impossible cette année. Je crains que sa vie ne commence encore plus difficilement que la nôtre. »