Entre Madrid et Barcelone, la situation se tend brusquement avant le référendum
Entre Madrid et Barcelone, la situation se tend brusquement avant le référendum
Par Sandrine Morel (Barcelone, envoyées spéciales), Cécile Chambraud
Face à la multiplication des mesures du gouvernement espagnol pour empêcher le scrutin, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues en Catalogne.
Julia est venue dès qu’elle a pu. Assise sur un pliant devant la mairie d’El Masnou, au nord de Barcelone, mercredi 20 septembre, la sexagénaire a découvert avec indignation les perquisitions et les arrestations effectuées depuis le matin par la justice espagnole à l’encontre d’organismes et de fonctionnaires du gouvernement catalan. La télévision régionale retransmet en direct les événements et, en fin de matinée, des manifestants ont commencé à se regrouper sur les lieux des cibles de la justice.
Devant le ministère catalan des relations extérieures perquisitionné par la garde civile à la recherche de documents relatifs au référendum interdit par Madrid, le 20 septembre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
« On est ici pour la démocratie et par solidarité avec ceux qui ont pu aller à Barcelone », explique-t-elle, entourée de cinq ou six autres femmes indignées par les derniers événements. « Je ne suis ici ni pour une patrie, ni pour un drapeau, mais pour la dignité », ajoute-t-elle. Sur sa poitrine, un autocollant portant un « oui » indique qu’elle ira voter le 1er octobre au « référendum » organisé par le gouvernement de Catalogne en faveur de l’indépendance de cette région autonome espagnole.
10 millions de bulletins de vote saisis
La situation s’est brusquement tendue mercredi à Barcelone, à dix jours d’une consultation à laquelle Madrid dénie toute légitimité. Et l’affrontement institutionnel entre le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy et le gouvernement régional de coalition indépendantiste de Catalogne, que l’on attendait plutôt pour le lendemain du vote, s’est matérialisé.
A la demande du juge d’instruction numéro 13 de Barcelone, la garde civile a pratiqué une quarantaine de perquisitions, dont six dans des ministères régionaux, ainsi qu’une vingtaine de mises en examen et l’arrestation de quatorze personnes, hauts fonctionnaires, fournisseurs et hauts responsables du gouvernement catalan.
Les Mossos d’esquadra, la police autonome catalane en chemise bleue et casquette, collaborent avec la police nationale comme l'exige la loi espagnole. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
L’objectif de l’opération est de poursuivre pour désobéissance, abus de pouvoir et malversation de fonds publics les responsables de l’organisation du scrutin et d’empêcher qu’il ait lieu. Près de 10 millions de bulletins de vote ont ainsi été saisis par les forces de l’ordre dans un entrepôt situé à Bigas, une petite ville du nord de Barcelone.
Dans la soirée, le chef de l’exécutif espagnol a refermé cette journée électrique en menaçant les organisateurs de la consultation. « Aux responsables de la Généralité, je recommande qu’ils cessent leurs agissements illégaux, a-t-il déclaré lors d’une allocution solennelle. Ils savent que ce référendum ne peut plus avoir lieu. Aujourd’hui, il n’est qu’une chimère. Renoncez à cette escalade de radicalité. Vous pouvez encore éviter des maux plus grands. » A Barcelone, les Catalans y ont répondu en sortant sur leurs balcons et en frappant sur des casseroles.
« On piétine nos droits fondamentaux »
Les opérations judiciaires ont fait descendre plusieurs dizaines de milliers de personnes dans les rues de la capitale régionale et des principales villes de Catalogne. Aux cris de « votarem » (« nous voterons »), les manifestants se sont rassemblés devant les ministères perquisitionnés afin d’empêcher les forces de l’ordre d’en sortir, d’entraver les arrestations et de protester contre ce qu’ils considèrent comme une négation de leurs droits politiques.
Devant le siège du parti independantiste de la gauche radicale CUP dans lequel la police espagnole n’a pas pu pénétrer, à Barcelone, le 20 septembre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Devant le siège du petit parti anticapitaliste et séparatiste CUP, un sit-in de plusieurs centaines de personnes a empêché la police de pénétrer dans les locaux. « On piétine nos droits fondamentaux, on ne nous laisse pas nous exprimer pour savoir ce que veut la majorité des Catalans, dénonce Maria Batllo, 29 ans. On a déjà imprimé nos bulletins de vote. Nous sommes prêts à tout pour en finir avec cette fausse démocratie, nous ferons ce que nous demandent les institutions catalanes et nous manifesterons jusqu’à ce que la Catalogne soit indépendante. »
Devant le siège du parti independantiste de la gauche radicale CUP dans lequel la police espagnole n’a pas pu pénétrer, à Barcelone, le 20 septembre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Dans le centre de Barcelone, un grand rassemblement s’est formé dans l’après-midi à l’appel des mouvements indépendantistes. « Nous serons là toutes les nuits s’il le faut jusqu’au 1er octobre », assurent deux militants pour l’indépendance, Alfonso Carreras, ingénieur de 65 ans, et Manuel Sanchez, retraité de 68 ans.
« Si on ne nous laisse pas voter nous sommes prêts à paralyser le pays. Nous ne nous attendions pas à un tel coup d’Etat contre la démocratie. Nous avons voté pour un programme électoral qui disait que nous allions proclamer l’indépendance lors des élections régionales de 2015. Personne ne nous en a empêchés alors. Que croyait Madrid ? L’Etat, en méprisant nos sentiments, notre culture, notre langue, notre dignité et notre économie, a fait de nous des indépendantistes. »
Madrid a « franchi la ligne rouge »
Depuis que le gouvernement catalan a annoncé la tenue de ce « référendum », la situation n’a cessé de se dégrader. Mariano Rajoy, ne croyait pas que le « govern » aurait le cran d’organiser un scrutin suspendu par le Tribunal constitutionnel. Il comptait sur l’obéissance des fonctionnaires régionaux et la crainte des élus d’être condamnés à des peines d’inéligibilité et de prison en cas de vote. Il était aussi convaincu que la reprise économique démobiliserait les indépendantistes.
Journée de mobilisation à Barcelone contre les perquisitions effectuées par la police nationale espagnole à la recherche de documents relatifs au référendum du 10 octobre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Convaincu de l’efficacité de l’action de la justice, le chef de l’exécutif a déserté le terrain politique. A aucun moment il n’a tenté de dissuader les électeurs catalans en leur offrant la perspective d’un autre projet politique. « Ce que nous avons vu en Catalogne, c’est une tentative de liquider la Constitution et des gens qui violent la loi, a déclaré M. Rajoy. Maintenant, l’Etat doit réagir. »
Loin d’impressionner les dirigeants catalans, les opérations policières de mercredi sont venues nourrir la rhétorique indépendantiste, qui accuse Madrid de s’opposer à une aspiration populaire et légitime. L’exécutif local a théâtralisé la surprise des électeurs en employant des grands mots.
Devant le ministère du logement perquisitionné par la garde civile, à Barcelone, le 20 septembre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
« Le gouvernement espagnol a franchi la ligne rouge qui le sépare de régimes totalitaires et il est devenu une honte démocratique », a lancé Carles Puigdemont, le président de la Généralité. « Nous n’accepterons pas le retour à des temps passés. Le gouvernement de Catalogne a fait l’objet d’une agression coordonnée. L’Etat espagnol applique de fait un état d’exception », a-t-il ajouté. Le chef de file du parti de la gauche radicale Podemos, Pablo Iglesias a abondé dans ce sens en qualifiant les personnes arrêtées mercredi de « prisonniers politiques », provoquant un scandale à Madrid.
Les autorités catalanes continuent d’affirmer que le référendum aura bien lieu. Mais les conditions matérielles risquent de rendre très difficile cet exercice après les saisies opérées ces derniers jours et les opérations judiciaires en cours. Le scénario initial prévoyait une déclaration unilatérale d’indépendance après le vote. Rien ne dit que le gouvernement catalan ne va pas l’accélérer si de nouveaux rebondissements judiciaires ont lieu dans les jours qui viennent. A moins que les deux parties entament enfin un dialogue. Le chef de file des socialistes catalans Miquel Iceta a fait « un appel aux gouvernements espagnol et catalan pour freiner une escalade qui nous mène tous au désastre ». Bien peu y croient encore.