L’Europe doit se prononcer de manière imminente sur la réautorisation, ou non, du glyphosate, pesticide présent dans le Roundup, dont l’homologation expire d’ici à fin 2017. Bruxelles a proposé de renouveler la molécule contestée pour dix ans.

Quelle sera la position de la France ? Fin août, Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et de la solidarité, avait indiqué que le gouvernement voterait contre la position de la Commission européenne. Le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner a semé la confusion lundi 25 septembre, en annonçant sur l’antenne de RMC et de BFM-TV que le premier ministre avait « arbitré » et que le glyphosate allait être « interdit en France d’ici à la fin du quinquennat » pour tous les usages, y compris en agriculture.

M. Castaner est revenu sur ses propos peu après. « L’objectif est qu’on puisse trouver des produits de substitution d’ici à la fin du quinquennat », a-t-il précisé.

Matignon avait publié, lundi matin tôt, un communiqué engageant les ministres concernés à présenter, avant la fin de l’année, « les conditions d’un plan de sortie du glyphosate, compte tenu de l’état de la recherche et des alternatives disponibles pour les agriculteurs ».

Pour le premier ministre, la question semble donc porter sur une éventuelle alternative à cet herbicide très répandu et sur la durée de la nouvelle homologation.

Le gouvernement va « confronter » sa position à celle de la Commission et des autres Etats-membres, indique ce communiqué. Il réaffirme en outre « son engagement à obtenir avant la fin du quinquennat des progrès significatifs vers l’interdiction de l’usage des substances dangereuses et vers une agriculture moins dépendante aux pesticides », assure ce communiqué.

  • Qu’est-ce que le glyphosate ?

Le glyphosate est la principale substance active du Roundup, le pesticide le plus utilisé dans le monde et produit phare de l’entreprise américaine Monsanto. Quelque 825 000 tonnes ont été épandues au niveau mondial en 2014. En 1974, année de sa mise sur le marché, il s’en utilisait 3 200 tonnes par an dans le monde.

Ce principe actif entre aussi dans la composition de près de 750 déclinaisons commercialisées par plus de 90 fabricants dans le monde, et occupe environ 25 % du marché mondial des herbicides. En Europe, on le trouve dans plus de 300 désherbants commercialisés par plus de 40 sociétés différentes. Rien qu’en France, il s’en vend environ 8 000 tonnes par an. Selon les statistiques officielles, on retrouve ce pesticide dans environ 60 % des cours d’eau français.

  • Est-il cancérogène ?

Le 20 mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l’agence de l’Organisation mondiale de la santé chargée d’inventorier et de classer les substances cancérogènes, a déclaré le glyphosate génotoxique (il endommage l’ADN), cancérogène pour l’animal et « cancérogène probable » pour l’homme.

Le 12 novembre 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a pris le contre-pied du CIRC et a rendu un avis favorable au maintien sur le marché.

Le 15 mars 2017, l’agence européenne des produits chimiques (ECHA), censée arbitrer le différend, a annoncé qu’elle ne classe pas le glyphosate parmi les agents cancérogènes.

Plusieurs scientifiques indépendants ont cependant manifesté leur soutien à la position du CIRC – soutien renforcé par la découverte, mi-septembre, par un biochimiste autrichien associé à l’ONG Global 2000, de pages entières du rapport préliminaire de l’expertise de l’EFSA, copiées-collées de documents de l’industrie agrochimique.

  • Pourquoi y a-t-il une bataille européenne pour sa réhomologation ?

La bataille pour la réhomologation du glyphosate commence début 2015. A ce moment-là, les instances européennes s’apprêtent à renouveler pour quinze ans, de 2016 à 2031, l’herbicide dont l’autorisation de mise sur le marché arrive à expiration. Mais son classement comme « cancérogène probable pour l’homme » par le CIRC, en mars 2015, fait dérailler le processus.

La Commission européenne, consciente du caractère crucial de cette substance pour le modèle agricole dominant, tente d’imposer malgré tout une reconduction de l’autorisation du produit sur le Vieux Continent. Après plusieurs votes, lors desquels les Etats-membres s’opposent sur le renouvellement, le glyphosate n’obtient, en juillet 2016, qu’une réautorisation provisoire, restreinte à dix-huit mois, en attente d’une ultime évaluation des risques du produit par l’ECHA.

Le 15 mars 2017, l’ECHA a finalement annoncé qu’elle ne considérait pas le glyphosate comme cancérogène ou mutagène, ouvrant la voie à sa réautorisation en Europe. Un vote des Etats membres est prévu avant la fin de l’année – c’est-à-dire avant l’expiration de l’autorisation d’exploitation du pesticide sur le Vieux Continent.

Fin août, le ministère de la transition écologique et solidaire a indiqué que Paris s’opposerait à la proposition de la Commission européenne de remettre en selle pour dix ans l’herbicide controversé, « en raison des incertitudes qui demeurent sur sa dangerosité ». Position réitérée lundi 25 septembre, dans un communiqué de presse de Matignon.

  • Pourquoi ces positions sont-elles contestées ?

Le 3 juillet 2017, une initiative citoyenne européenne (ICE), lancée par une quarantaine d’ONG, a été remise à la Commission européenne. Forte de 1 323 400 signatures obtenues sur le territoire de l’Union, elle appelle à « interdire les herbicides à base de glyphosate, dont il a été démontré que l’exposition est liée au développement de cancers chez l’homme, et qui dégrade les écosystèmes ».

Si une ICE recueille un million de déclarations de soutien validées provenant d’au moins sept Etats-membres, la Commission doit décider d’agir ou non, et expliquer les raisons de son choix.

En France, la position du ministère de la transition écologique et solidaire est fustigée par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui estime dans un communiqué du 30 août que « l’utilisation raisonnable du glyphosate » est nécessaire au développement « des bonnes pratiques agricoles, parmi lesquelles l’agroécologie, l’agroforesterie ou l’agriculture de conservation ».

  • Existe-t-il des alternatives pour les agriculteurs ?

En France, sous la mandature de François Hollande, il a été décidé d’interdire l’usage des pesticides – dont la molécule contestée des herbicides à base de glyphosate –, par les collectivités locales dans les parcs et jardins, à partir du 1er janvier 2017. Les particuliers, qui n’y ont désormais plus accès en libre-service sur les rayons des points de vente, devront à leur tour s’en passer à partir du 1er janvier 2019.

« C’est un désherbant total pour lequel il n’existe pas de substitut aussi efficace. La seule alternative possible est mécanique : retourner la terre au tracteur pour arracher toutes les mauvaises herbes, avec des conséquences en termes d’utilisation de carburant, de gaz à effet de serre et d’érosion des sols », juge la Glyphosate Task Force, au sein de laquelle une quarantaine d’entreprises du secteur (dont Dow AgroSciences, Monsanto Europe, Syngenta) sont à la manœuvre pour prolonger son homologation.

« Il existe bien un autre produit sur le marché, le glufosinate-ammonium, précise Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Mais, si son efficacité est équivalente à celle du glyphosate, son impact sur l’environnement l’est aussi. » Substituer l’un à l’autre ne réglerait en rien le problème de la contamination des sols et de l’eau par des pesticides.

« La nocivité du glyphosate vient surtout du fait que, depuis qu’il est apparu, les agriculteurs ont tendance, pour se simplifier la vie, à abandonner les labours et les rotations de cultures : il leur suffit de passer un coup de Roundup pour pouvoir semer à nouveau derrière », estime M. Huyghe.

En réalité, il n’y a pas de solutions uniques en agronomie : le travail du sol, l’alternance du labour et du « non-labour », la rotation des cultures, tout cela concourt à une agriculture plus performante et moins gourmande en pesticides. Selon l’ingénieur Bertrand Omon, qui conseille et accompagne un réseau d’exploitations Dephy – qui parviennent à réduire de plus de 50 % leurs intrants chimiques –, « on pourrait dire du glyphosate comme des antibiotiques qu’il vaut mieux s’en passer, sauf en cas de réelle nécessité ».