« Espèces menacées » : misères sans grandeur de la vie conjugale
« Espèces menacées » : misères sans grandeur de la vie conjugale
Par Thomas Sotinel
Tiré des nouvelles de l’Américain Richard Bausch, le film de Gilles Bourdos voit sa noirceur illuminée par le jeu de Grégory Gadebois.
Désarticulé, strident, dissonant, ce film est pourtant scandé d’images empreintes d’une harmonie mystérieuse : un enfant court dans l’herbe, un masque attaché à l’arrière de la tête – une partie de campagne devient un rituel étrange ; un cantonnier juché sur une plateforme ouvre le verre d’un lampadaire, un vol doré d’insectes s’en échappe – une invocation magique sur le bord de la route. Ces moments arrachent Espèces menacées à la pesanteur de son matériau : l’infinie variété des souffrances que les hommes infligent aux femmes. Le reste du temps, le film se débat sous une chape de plomb, qui ne laisse respirer qu’à l’occasion du passage d’un fil narratif à l’autre.
Gilles Bourdos et son coscénariste Michel Spinosa sont en effet partis des nouvelles de l’Américain Richard Bausch, un peu à la manière du traitement qu’avait infligé Robert Altman à Raymond Carver dans Short Cuts. Des histoires hétérogènes forment, par leur juxtaposition, l’image d’un autre objet.
Assez vite (le film dure 105 minutes, l’impression vient au bout d’une demi-heure), on se convainc que Gilles Bourdos ne s’intéresse vraiment qu’à une seule de ces histoires : celle de Tomasz (Vincent Rottiers) et Joséphine (Alice Issaz), jeunes mariés qui ont bravé la réprobation de ses parents à elle. Pourtant, Joseph, le père de Joséphine (Grégory Gadebois) et sa femme (Suzanne Clément) avaient bien raison de se méfier du promis de leur fille unique. Il est brutal, immature, elle porte bientôt les stigmates de sa violence.
Ruptures de ton brutales
Pendant un temps, cette menace a eu pour contrepoint le désarroi d’un autre couple de parents (Eric Elmosnino et Agathe Dronne) qui ont appris – alors qu’ils étaient en train de se séparer – que leur très jeune fille (Alice de Lencquesaing) était enceinte des œuvres d’un universitaire très largement sexagénaire. On croise aussi un grand garçon à l’air emprunté (Damien Chapelle) qui doit quitter Paris pour Nice afin de s’occuper de sa mère (Brigitte Catillon) saisie de folie après le départ de son mari.
Mais ces deux histoires ne trouvent jamais tout à fait leur place à côté de la tragédie des jeunes mariés. Celle-ci occupe plus de temps et sollicite plus brutalement les émotions. D’autant que l’affrontement entre Vincent Rottiers et Grégory Gadebois prend, en une ultime séquence, un tour à la fois inévitable et inattendu qui tient aussi bien au jeu des acteurs (Gadebois impressionne une fois de plus par l’extraordinaire économie de son travail) qu’à la mise en scène. Si l’on ne tient compte que des minutes que prend la scène, ce n’est pas grand-chose par rapport au désordre et aux ruptures de ton brutales qui minent le reste d’Espèces menacées. Mais si l’on calcule en fonction de la fréquence à laquelle ce moment revient à la mémoire, ce film-là l’emporte sur bien d’autres.
Espèces menacées - Bande-annonce
Durée : 01:57
Film français de Gilles Bourdos. Avec Vincent Rottiers, Alice Issaz, Grégory Gadebois, Brigitte Catillon, Eric Elmosnino (1 h 45). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/especes-menacees