Un bras automatique mal nettoyé, et voilà la France soudain amputée de son unique laboratoire spécialisé dans la détection de produits dopants chez les sportifs : l’Agence mondiale antidopage (AMA) a sévèrment sanctionné mardi 26 septembre le laboratoire de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) en lui retirant provisoirement son accréditation, lui interdisant jusqu’à nouvel ordre d’analyser les urines et le sang prélevés en marge des compétitions du monde entier.

Au printemps, des traces de stéroïdes ont été retrouvées dans deux échantillons prélevés sur des sportifs qui n’avaient pourtant pas consommé d’anabolisants. Ce n’est que lorsque l’un d’eux a demandé une contre-expertise de son résultat positif que le laboratoire s’est aperçu, le 25 août, que les échantillons contrôlés avaient été pollués. Selon l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), un échantillon d’urine exceptionnellement concentrée en stéroïdes a laissé des traces sur le bras robotique de la machine d’analyse, malgré le rincage automatique effectué après chaque intervention. La pulvérisation d’eau n’a pas suffi à effacer toutes les traces de stéroïdes de l’échantillon, qui ont pollué les tubes analysés ensuite.

L’AFLD explique avoir signalé l’erreur dès le 28 août à l’AMA, qui aurait, quoi qu’il en soit, probablement repéré le passage du statut de deux sportifs de positif à négatif. Depuis, l’Agence française vivait dans l’angoisse de la décision du groupe d’experts laboratoires de l’AMA, persuadée qu’elle pourrait échapper à une suspension totale.

« C’est un gros coup »

« On a été surpris. La décision est sévère, dit au Monde le secrétaire général de l’AFLD, Mathieu Téoran. Il est sûr qu’une contamination est l’un des problèmes que l’AMA redoute le plus. Mais l’origine ici n’est ni une malveillance, ni une fraude, ni l’incompétence ; et le problème a été circonscrit. C’est un gros coup. »

L’AFLD espérait échapper à toute sanction ou être condamnée à une suspension partielle de son accréditation dans la procédure en question, comme le laboratoire de Los Angeles. Une équipe de l’AMA va dorénavant inspecter en profondeur le fonctionnement de Châtenay-Malabry, et un comité disciplinaire indépendant statuera dans les prochains mois à son sujet.

Le moment est crucial : l’Agence mondiale – qui ne souhaite pas commenter sa décision – réfléchit, selon nos informations, à réduire durablement le nombre de laboratoires accrédités pour les rendre plus professionnels, ou à les obliger à se spécialiser davantage dans certaines familles de produits dopants.

Dix des 32 laboratoires accrédités ont été suspendus à un moment ou à un autre ces deux dernières années ; un activisme qui peut être lié au fiasco des Jeux olympiques de Sotchi, en 2014, pour lesquels le laboratoire de Moscou avait été accrédité malgré de nombreuses informations préoccupantes et contre l’avis de la commission de discipline de l’AMA.

Mais c’est la première fois que Châtenay-Malabry, jadis l’un des meilleurs laboratoires du monde et à l’origine du premier test de détection de l’EPO (érythropoïétine) en 2000, est concerné. Et ce, alors que Paris vient de se voir attribuer les Jeux olympiques 2024.

Installations et matériel vétustes

Bras armé de l’Agence française de lutte contre le dopage – alors que l’AMA recommande que laboratoires et agences nationales soient strictement dissociés –, Châtenay-Malabry est devenu ces dernières années son point faible. A tel enseigne que dans le dossier de candidature pour les Jeux olympiques 2024, la France avait prévu qu’il ne soit pas le laboratoire unique, en rupture avec une pratique établie.

Ses installations sont vétustes, certaines machines doivent être remplacées – ce n’est pas le cas de celle qui est impliquée – et le laboratoire n’a pas connu de direction pérenne depuis la mort du professeur Jacques de Ceaurriz en 2010 ; ce qui a ralenti de fait son activité de recherche. Jusqu’à la nomination, en décembre 2016, d’un spécialiste reconnu à la tête du département des analyses, Michel Audran.

Ce processus de recrutement raté, à mettre au débit de Bruno Genevois – président de l’AFLD de 2010 à juillet 2017 –, a terni l’image du laboratoire dans la communauté internationale, alors que son statut irritait déjà l’AMA : Châtenay-Malabry, non adossé à une université et rattaché statutairement à l’Agence nationale, est une anomalie dans la famille des grands laboratoires antidopage.

La décision survient toutefois à un moment où l’Agence française relevait la tête. Sur le plan scientifique, avec la première détection mondiale d’un cas de FG-4592, médicament stimulant la production endogène d’EPO. Et sur le plan opérationnel, avec plusieurs opérations marquantes dans le peloton cycliste de Guadeloupe ou dans le milieu du culturisme – d’où venait l’échantillon chargé en stéroïdes, dans des proportions 200 fois plus importantes que le maximum observé jusque-là.

Des conséquences économiques

Financièrement, la suspension provisoire de Châtenay-Malabry « peut nous coûter cher », admet Mathieu Téoran, qui précise toutefois avoir « reçu des marques de soutien de [ses] clients ». Les ressources de l’AFLD étant insuffisantes, le laboratoire avait développé ces dernières années son activité de prestataire de service pour augmenter ses revenus. La suspension de plusieurs laboratoires dans le monde lui avait aussi bénéficié. A présent, les échantillons vont cesser de lui parvenir.

Dans un marché très concurrentiel cette suspension obère son avenir, puisqu’elle le prive de recettes et va augmenter ses dépenses ; l’AFLD étant obligée de faire analyser ses échantillons chez les voisins, Gand ou Lausanne par exemple.

Un problème supplémentaire à gérer pour la nouvelle présidente de l’AFLD, Dominique Laurent, nommée au poste en juillet et arrivée au début du mois de septembre, et qui doit déjà ramener de la sérénité à l’agence, qui a fait l’objet d’un audit social commandé par son comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en 2015 et 2016.