« Etre un étudiant africain en Occident, c’est faire le tour du monde des difficultés »
« Etre un étudiant africain en Occident, c’est faire le tour du monde des difficultés »
Par Eric Essono Tsimi
Pour l’écrivain et doctorant Eric Essono Tsimi, être camerounais, c’est donner plus, recevoir moins, se battre jusqu’au sang pour chaque réussite.
Les contraintes faites aux étudiants africains en Occident sont extrêmement humiliantes. Pour me rendre à un prestigieux congrès à Lausanne en septembre, j’ai fait le tour du monde des difficultés. Mon permis de séjour suisse étant expiré en raison de ma résidence actuelle aux Etats-Unis, n’ayant pas renouvelé mon titre de séjour français pour les mêmes raisons, il m’a fallu chercher un visa européen, en vertu du passeport camerounais dont je me prévalais. Pour me dénier la possibilité d’un visa Schengen, il m’a été opposé la caducité de mon visa américain qui expire systématiquement tous les six mois. Avec la menace de Boko Haram au nord, celle des sécessionnistes à l’ouest, beaucoup de Camerounais américains voient dans un retour la perspective d’une détresse susceptible de perturber les trajectoires les mieux sécurisées.
J’ai préféré me rendre dans ce grand pays où l’on met de la mayonnaise sur le maïs bouilli, du sel sur les bières, de l’avocat partout, et du citron à toutes les sauces. C’est élémentaire et d’un bon sens cruel : pour avoir le droit d’entrer, il faut sortir. Pour un voyage scientifique, en vue d’une communication d’importance, qui m’a coûté des efforts, j’en étais à trois visas recherchés, dont chacun en moyenne me coûterait 250 dollars, 1 000 dollars en tout pour ravoir un visa américain en terre mexicaine. J’y suis arrivé le lendemain d’un ouragan et j’en suis reparti la veille d’un tremblement de terre : dans la vie d’un Africain, c’est le miracle quotidien.
Comme un sous-étranger
Rentré à Charlottesville, j’ai dû justifier chacune de mes courses. D’apposer des signatures sur des documents ou de se plaindre pour des questions extra académiques, quand on ne rêve de ne parler que de sa science et de son art, est assez humiliant. Honnêtement, j’ai souhaité que l’on mette une puce sous ma peau et dans mes appareils, pourvu que l’on m’épargne les redditions de comptes et signatures à aller quérir pour le moindre déplacement.
C’est une belle illusion d’Africain africain de croire que les Africains américains sont nos frères. Ils le sont en tant qu’humains. Point. J’ai sollicité à deux reprises soit un renseignement, soit le secours du Bureau des affaires africaines américaines. On m’a froidement ignoré ou sèchement renvoyé au service international de l’université. Ne venant ni d’Iran ni de Corée du Nord, il n’est pas sûr que l’on me prenne au sérieux si je dis que je me sens un sous-étranger parce que je viens d’une dictature inconnue. Depuis mon arrivée aux Etats-Unis, je me suis plus senti en famille dans le département de français, très blanc, que dans toute réunion de Noirs.
Au début, tout à ma négritude, j’avais pris des responsabilités au sein d’une association d’Africains américains. Il y a un fossé culturel qui fait que tout Camerounais, las, tient davantage du Français que de l’Africain américain !
Avancer sans oublier de vivre
Je me suis retrouvé par hasard à faire simultanément deux doctorats. Déjà, faire un doctorat, c’est une folie ; en essayer deux n’est que pur désespoir. Il s’est juste passé que toutes les candidatures que j’avais déposées (en Suisse, en France et aux Etats-Unis) avaient été acceptées. Et je m’inscrivais à tour de bras : le premier réflexe quand on sort de la précarité, c’est l’accumulation. L’offre américaine me garantissait, pensais-je, cinq ans de recherche sereine, quand en Suisse je n’étais pas sûr de voir mon contrat renouvelé. Et la France, elle, ne m’offrait rien sinon la gratuité : 300 euros de frais de scolarité pour une année doctorale, avec des soins gratuits y compris chez le dentiste. Peu cher mais, pour tout Africain, il faut vivre et faire vivre.
J’ai réorienté en deuxième année de thèse mes travaux. Et, après la signature d’une convention de codirection entre l’université de Lausanne et l’université de Grenoble-Alpes, j’avais trois affiliations. En Europe, j’étudie l’Afrique. En Amérique, j’étudie l’Europe. Quand la pression devenait trop forte aux Etats-Unis, je pensais : si je ne me sens plus heureux, j’abandonne. De toute manière, j’ai une thèse presque terminée à Lausanne. Et quand en Europe les choses se corsaient, je me disais : si ça continue j’arrête. Ainsi, plutôt que d’avoir deux fardeaux, j’avais deux béquilles, des ressources alternatives pour avancer sans oublier de vivre.
Vivre pour moi, c’est écrire. Travailler, c’est cela être un Camerounais : donner plus, recevoir moins, se battre jusqu’au sang, arracher avec ses dents chaque réussite, en y laissant parfois des plumes. Rendu aux étapes finales de mes thèses européenne et américaine, je pense à mes modèles francophones : Nganang, Mabanckou, Ekotto, Bachir Diagne, Dongala, Waberi. Qui ont chacun leur histoire de la douleur. Si Hannibal avait conquis Rome, la face de l’Afrique eût à jamais été changée. L’Amérique, c’est la nouvelle Rome, je vais la conquérir. Et en français ! Carthage s’était contentée d’être belle, alors que Rome fomentait sa chute : comme un usage établi de faire profil bas et de raser les murs.
Eric Essono Tsimi est un écrivain camerounais, boursier du Centre national du livre (CNL) et doctorant des universités de Virginie (Etats-Unis), de Grenoble-Alpes et de Lausanne (Suisse).