A Barcelone, le 1er octobre. | GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Et maintenant ? Le scénario des événements de dimanche 1er octobre était écrit d’avance. Le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, avait prévenu qu’il ne laisserait pas s’organiser, au mépris de la loi et de l’autorité de l’Etat, le référendum sur l’indépendance de la Catalogne, interdit par la Cour constitutionnelle espagnole. Le président catalan, Carles Puigdemont, l’a maintenu envers et contre tout, au nom de la « légitimité populaire » et de l’« engagement » pris envers ceux qui ont porté au pouvoir la coalition indépendantiste en Catalogne, en septembre 2015.

L’escalade verbale entre les deux hommes, incapables d’engager un quelconque dialogue, annonçait ainsi depuis des mois un choc inévitable. Ce dernier a finalement eu lieu le 1er octobre lorsque la police nationale a chargé sur des Catalans qui voulaient ­voter. Ses conséquences sont à présent ­imprévisibles.

Le président de la Catalogne a laissé peu de place au doute quant à son intention de proclamer l’indépendance de la région espagnole dans le courant de la semaine. « En ce jour d’espoir et de souffrances, les citoyens catalans ont gagné le droit d’avoir un Etat indépendant sous la forme d’une république », a-t-il déclaré lors une allocution télévisée, avant même la publication des résultats, insistant sur les « atteintes aux droits et libertés » qui se sont produites dans la journée. A maintes reprises, dans son discours, il a mentionné l’Europe, demandant une médiation internationale. Mais il a aussi laissé entendre qu’il n’attendra pas celle-ci pour agir et qu’il « transmettra dans les prochains jours les résultats du scrutin au Parlement catalan, afin qu’il puisse agir conformément à la loi référendaire ».

« Processus long et laborieux »

D’après cette loi polémique, sorte de mini-Constitution liquidant à la fois la Loi fondamentale espagnole et le statut d’autonomie catalan, approuvée sans débat le 7 septembre au Parlement régional par une majorité simple et suspendue par le Tribunal constitutionnel, la sécession doit être proclamée dans les 48 heures suivant la publication des résultats, si le oui l’emporte.

Sauf surprise majeure, la coalition indépendantiste Junts pel si (« Ensemble pour le oui ») et la Candidature d’unité populaire (CUP, extrême gauche) devraient proclamer l’indépendance de la Catalogne mercredi 4 octobre. Selon leur programme s’ensuivrait ensuite un « processus constituant » de négociation entre les différents partis et avec l’Etat. Après plusieurs mois, le projet de Constitution qui en émanerait serait soumis à une nouvelle assemblée, dite constituante, formée après de nouvelles élections. Selon un dirigeant de Ciudadanos, le principal parti d’opposition, « le gouvernement catalan pourrait en quelque sorte essayer d’appliquer dès mercredi l’équivalent de l’article 50 pour le Brexit : l’ouverture d’un processus de négociation long et laborieux qui lui permettrait en fait de gagner du temps pour chercher des soutiens dans la communauté internationale et essayer de renforcer encore le bloc indépendantiste, en marge de la CUP, qui est un allié gênant pour son image… »

Devant un bureau de vote du quartier de Fort Pienc, à Barcelone, dimanche 1er octobre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Quelle sera la réponse de Madrid ? Il semble improbable que Mariano Rajoy laisse passer une déclaration d’indépendance sans réagir. En cas de sédition, la loi lui permet de suspendre l’autonomie de la Catalogne et de prendre le contrôle de la police régionale, les Mossos d’Esquadra. La déclaration d’indépendance pourrait aussi conduire les juges à procéder à l’arrestation de Carles Puigdemont et des membres du gouvernement, déjà mis en examen pour détournement de fonds publics pour l’organisation du référendum. « Si cela se produit, l’Etat de droit aura vaincu mais le système politique de l’Espagne, celui des régions autonomes, aura perdu, affirme le journaliste Xavier Vidal-Folch, auteur de plusieurs ouvrages sur la question catalane. Et il faudra de nombreuses années pour le recoudre et réparer les fractures de la société. »

Les principaux syndicats ont appelé à une grève générale en Catalogne, mardi 3 octobre, pour protester contre les violences policières. Et les puissantes associations indépendantistes ont envoyé un avertissement à M. Puigdemont. « Nous attendons tout de votre engagement : Président, ne nous faites pas défaut », a déclaré dimanche soir devant une foule enthousiaste, place de la Catalogne, à Barcelone, Jordi Sanchez, le président de l’Assemblée nationale catalane (ANC), à l’origine des manifestations monstres qui ont lieu chaque année pour la Diada (la fête nationale catalane).

La fuite en avant des indépendantistes et le manque de vision du chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, cadenassé derrière une lecture uniquement juridique de la crise la plus grave qu’ait connue son pays en quarante ans de démocratie, font craindre le pire. Persuadé que la reprise économique ramènerait les Catalans « à la raison », et que les divisions internes au sein du bloc indépendantiste feraient exploser leur fragile unité, M. Rajoy a attendu que le temps règle les choses. La seule proposition que sont prêts à accepter les indépendantistes est l’organisation d’un véritable référendum d’autodétermination légal. Le temps des négociations sur le système de financement et l’amélioration du statut d’autonomie est passé, disent-ils. « Celui qui renonce à l’indépendance meurt immédiatement politiquement », affirme un dirigeant de la Gauche indépendantiste catalane (ERC).

« Une simple mise en scène »

Or, un référendum d’autodétermination n’a jamais été envisagé par le chef du gouvernement espagnol : la Constitution ne le permet pas et le Parti populaire ne la réformera pas pour qu’elle le permette. Dimanche soir, M. Rajoy, lors d’un discours froid, a répété « qu’il n’y a pas eu de référendum en Catalogne, mais une simple mise en scène », se félicitant d’avoir appliqué « la loi, rien que la loi », comme s’il avait remporté une victoire.

C’est une erreur. Ni Madrid ni Barcelone ne sortent vainqueurs ce 1er octobre. Le chef du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, est certes parvenu à faire descendre dans la rue des milliers de Catalans pour voter à son référendum d’autodétermination unilatéral. Mais il s’est agi d’un simulacre dépourvu des garanties démocratiques minimales, avec des urnes opaques et un programme informatique défaillant qui a permis à ceux le souhaitant de voter à plusieurs reprises. Ce scrutin illégal s’est soldé par un résultat digne d’une république bananière : 90 % de oui à l’indépendance, avec un taux de participation de 42,3 % (2,26 millions de personnes).

Quant à Mariano Rajoy, sa défaite est double. Non seulement il n’est pas parvenu à empêcher le vote, comme il s’y était engagé, mais il a perdu la bataille morale. Les images des charges policières ont fait le tour du monde et donné aux indépendantistes de nouveaux arguments.