Photo prise le 11 mars de crânes humains dans une fosse commune découverte par les habitants de Tshimbulu, dans le centre de la République démocratique du Congo. | © Stringer . / Reuters / REUTERS

Après des mois de dénégations par le régime de Joseph Kabila, la découverte de charniers dans le Kasaï illustre l’ampleur de la violence qui sévit toujours en République démocratique du Congo (RDC). Dès décembre 2016, la Mission des Nations unies en RDC (Monusco) avait transmis au gouvernement des « allégations sur la présence de sept fosses communes » dans cette province au centre du plus grand pays d’Afrique francophone, auxquelles se sont ajoutées trois autres, identifiées début mars. Entre-temps ont fuité sur Internet des vidéos de soldats congolais tirant, parfois à bout portant, sur des femmes et des hommes sans armes traités de « bandes d’animaux ». Puis, deux membres du groupe d’experts de l’ONU en mission dans la région disparaissaient le 12 mars. Une semaine plus tard, des journalistes de RFI et Reuters révélaient l’existence de sept autres charniers.

Mercredi 22 mars, les Nations unies, dont les enquêtes sont volontairement entravées par l’armée congolaise, ont appelé à la mise en place d’une commission internationale d’enquête, soupçonnant l’existence d’au moins 17 fosses communes. Des experts indépendants parlent de plusieurs dizaines de charniers, essentiellement concentrés dans la région de Dibaya, où régnait un chef coutumier nommé Kamwina Nsapu.

« Révolte rurale et urbaine »

Ce leader mystique âgé d’une trentaine d’années avait osé défier les autorités à la suite de l’adoption, en 2015, d’une nouvelle loi sur le statut des chefs coutumiers. Désormais salariées de l’Etat, ces autorités traditionnelles sont récupérées par le pouvoir central, qui a le pouvoir de les nommer ou de les démettre. Marginalisé, Kwamina Nsapu est entré en rébellion et a appelé les habitants à résister lors de discours enflammés dans lesquels il vilipendait le président Joseph Kabila. Ce dernier s’était rendu, en juillet 2016, à Kananga, la capitale du Kasaï-Central, pour tenter d’apaiser les esprits. Le mois suivant, Kwamina Nsapu était tué dans des affrontements avec les forces de l’ordre.

Les disciples du jeune chef traditionnel ont poursuivi la lutte contre le régime Kabila, dénoncé comme illégitime et ennemi des coutumes. Persuadés d’être dotés de pouvoirs magiques, armés de bâtons, de machettes ou de vieux fusils, ils ont enrôlé des femmes et des mineurs pour mener leur insurrection qui s’est répandue à d’autres régions du Kasaï.

« Ce ne sont pas seulement les disciples de Kamwina Nsapu qui se soulèvent, explique le chercheur Anaclet Tshimbalanga, de Kananga. C’est devenu une révolte populaire, rurale et urbaine, alimentée par des griefs coutumiers et un mécontentement à l’égard du pouvoir central. » La répression est brutale. « On ne laissera pas des illuminés troubler l’ordre public, on sera intraitable », déclarait fin février au Monde le ministre des affaires étrangères, Léonard She Okitundu.

Un charnier, près de Kananga, la capitale du Kasaï-Central (République démocratique du Congo), le 12 mars. | STRINGER / REUTERS

Depuis septembre, plus de 400 personnes ont été tuées dans les combats, dont une centaine entre le 9 et le 13 février, selon l’ONU qui a pointé les « atrocités commises par les miliciens », qui ont enrôlé de nombreux mineurs, de même que « l’usage disproportionné de la force » par les militaires congolais. Sept soldats identifiés dans les documents vidéo diffusés sur Internet en février ont été inculpés par la justice militaire congolaise pour crimes contre l’humanité.

Sous pression de la communauté internationale, des émissaires du gouvernement négocient avec les notables locaux, dont des membres de la famille de Kamwina Nsapu. Un accord a été trouvé le 19 mars. Les miliciens ont accepté de déposer les armes, pour le moment. Mais les tensions demeurent.

Crise politique profonde

Ce regain de violence dans des provinces reculées du pays s’inscrit dans un contexte de profonde crise politique. Faute d’élections, le président Joseph Kabila, dont le second et dernier mandat s’est achevé il y a trois mois, reste au pouvoir qu’il est censé partager avec un premier ministre de l’opposition, selon l’accord signé le 31 décembre 2016 par l’ensemble de la classe politique. Et ce, jusqu’à la tenue d’élections prévues à la fin de l’année. Un délai jugé irréaliste, d’autant que Joseph Kabila n’a toujours pas nommé de nouveau premier ministre.

Le pouvoir est soupçonné par des diplomates occidentaux d’entretenir le désordre sécuritaire pour repousser une fois encore l’élection présidentielle. « Bien que les origines de ces violences soient locales, elles défient directement l’autorité de l’Etat central et rappellent que la crise politique nationale déstabilise encore un peu plus les provinces », note Hans Hoebeke, analyste de l’International Crisis Group.

Marginalisé par les Occidentaux, à commencer par les Etats-Unis et l’Union européenne qui le menacent de nouvelles sanctions, le régime Kabila se tourne vers des partenaires moins sourcilleux sur les questions des droits de l’homme. Léonard She Okitundu s’est entretenu, le 22 mars à Moscou, avec son homologue russe, Sergueï Lavrov. Au Conseil de sécurité de l’ONU, Moscou pourrait soutenir le blocage d’une enquête indépendante sur les crimes commis au Kasaï.