Promotionnelle, commémorative ou indépendante, la cartouche de jeu vidéo fait de la résistance
Promotionnelle, commémorative ou indépendante, la cartouche de jeu vidéo fait de la résistance
Par Corentin Lamy
Si, à l’exception de Nintendo, les éditeurs de jeux vidéo préfèrent désormais d’autres supports plus modernes, la bonne vieille cartouche en plastique n’a pas dit son dernier mot.
L’annonce date du 31 août et, pendant quelques heures, a enflammé l’Internet « gamer » : pour célébrer les trente ans de la série culte Street Fighter, l’éditeur japonais Capcom s’apprête à rééditer son deuxième épisode – certainement le plus emblématique.
On sait l’éditeur enclin à ressusciter inlassablement son fond de catalogue. Mais, cette fois-ci, c’est différent : cette énième version de Street Fighter II sera disponible sous forme d’une véritable cartouche de Super Nintendo et fonctionnera d’ailleurs sur les consoles d’époque. Une console qui, officiellement, n’a pourtant plus connu de sortie depuis 1998.
La réédition de « Street Fighter II » sur Super Nintendo. / iam8bit
Ce n’est pas la première fois que Capcom fait les yeux doux aux amoureux des cartouches en plastique. En 2013, cent cinquante nouveaux exemplaires de DuckTales, sorti près de vingt-cinq ans plus tôt sur NES, avaient été distribués à quelques heureux élus. Mais pas question, cette fois, d’une simple opération promotionnelle : ce sont tout de même 5 500 exemplaires qui seront mis en circulation, à la fin de novembre, aux Etats-Unis.
Une réédition que iam8bit, le distributeur de ces cartouches à l’ancienne, envisage comme la première d’une longue série : « On veut faire ce que Criterion fait avec les classiques du cinéma : créer des pièces de collection haut de gamme, mais qui sont également fonctionnelles », explique son cofondateur, Jon M. Gibson.
DuckTales: Remastered Gold NES Cartridge by iam8bit
Durée : 02:01
Des moules dans la nature
Pour les joueurs nostalgiques « grave chauds », la réédition de Street Fighter II est « une idée géniale », « sympa », « plutôt fun » et, en tout cas, « une bonne initiative » se félicitent respectivement Catzoo, John, Hegor, Kenny et Sylvain sur Twitter. Mais tous tiquent sur le prix : 100 dollars (84,50 euros). En brocante ou dans les boutiques d’occasion, Street Fighter II peut encore se trouver « entre 2 et 5 euros », estime, toujours sur les réseaux sociaux, Huile Smith.
Mais cette opération a un coût – et pas le même qu’à l’époque. Tirés à 5 500 exemplaires seulement, ces cartouches sont fabriquées avec des composants neufs et sur le territoire américain. Iam8bit utilise ainsi un nouveau moule pour fabriquer le plastique (« de très haute qualité », précise Amanda White, l’autre cofondatrice de l’entreprise), les anciens ayant disparu dans la nature depuis longtemps. « Jamais nous n’utiliserions d’anciennes cartouches remises à neuf : on se refuse à détruire des bouts de l’histoire du jeu vidéo », ajoute-t-elle.
Autre problème pour le distributeur : les composants d’époque n’existent plus, remplacés par des puces trois volts (« ou moins »), alors que les consoles d’époque étaient alimentées en cinq volts. « Par mesure de sécurité, on a dû inclure des convertisseurs dans toutes nos cartouches, explique M. Gibson. On a aussi travaillé étroitement avec Capcom pour les illustrations. Les boîtes d’origine ont été scannées en très haute résolution puis restaurées, pixel après pixel, pour pouvoir imprimer les nouvelles. »
Les indépendants à l’assaut du marché
Mais tous les joueurs ne sont pas prêts pour autant à craquer. Pour certains, ce qui fait la valeur d’une cartouche, c’est sa qualité de témoignage historique. « J’ai acheté une cartouche Final Fantasy VI d’origine, car c’est une partie d’histoire, nous raconte Morgan. Mais je n’y jouerai pas : je le referai sur des supports modernes. » Racheter une cartouche au prix fort ? D’accord, mais à condition que ce soit un nouveau jeu. « Un épisode inédit, j’aurais précommandé dans la minute. Un jeu comme Street Fighter II que j’ai déjà en trois exemplaires, non », résume Hamsterjoueur.
Surprise : ces jeux récents, curieuses anomalies temporelles développées par de jeunes créateurs pour de vieilles cartouches, ils existent. « Sur certains supports, les sorties se comptent en dizaines, voire plus ! Mais autant la production est pléthorique sur 8-bit, autant elle est rachitique sur 16-bit. Le souci étant que l’on attend une qualité bien plus élevée niveau réalisation sur ces machines », explique Guillaume Verdin, rédacteur pour le Mag de l’association MO5.com et spécialiste du jeu vidéo rétro.
Le site mag.mo5.com tient compte de l’actualité des jeux amateurs, tels que « Unholy Night », sorti en début d’année sur Super Famicom. / Foxart
Partout dans le monde, des créateurs indépendants travaillent, en effet, de concert pour donner une seconde jeunesse à leurs consoles préférées, développant de nouveaux jeux pour ces supports antiques. Quitte, pour les plus ambitieux, à leur offrir une, pourtant, peu rentable sortie sur support physique.
Les consoles, plus populaires ? « Celles sur lesquelles il est facile de développer, comme les machines peu puissantes, et les machines cultes comme la NeoGeo ou la Dreamcast, pour lesquelles il y a un public, même pour des jeux très chers », continue M. Verdin.
Mais il n’y a pas que les joueurs qui sont nostalgiques : chez les créateurs aussi, il y a la volonté de ressusciter des systèmes morts trop tôt et ainsi contribuer à réparer ce qui est parfois perçu comme une injustice. « Il y a des communautés homebrew [jeux amateurs] très actives sur des machines qui n’ont justement pas eu beaucoup de jeux à l’époque : Vectrex, Virtual Boy, Jaguar, Atari 7800… »
Exposer, entreposer, transmettre
C’est le cas du collectif canado-californien CollectorVision. En 2008, les Québécois Jean-François Dupuis et Toby Saint-Aubin commencent ainsi par fabriquer des manettes personnalisées, avant de publier leurs propres jeux pour des machines de la fin des années 1970 et début 1980 : ColecoVision, Atari 2600 ou Intellivision. « Et bientôt pour NES, Super NES, MSX, et Master System ! », précise Toby Saint-Aubin, qui se targue de publier « entre dix à quinze jeux par an » sous le label Acclaim, marque historique dont ils ont racheté le nom en 2014. L’un des plus récents, Sydney Hunter & The Sacred Tribe, est un jeu pour Intellevision tiré à neuf cents exemplaires.
Pas de quoi cependant faire vivre ce petit collectif, dont un seul membre est salarié. Un marché marginal ? En tout cas, un marché de niche. Même si Toby Saint-Aubin veut croire que, d’ici à la fin de l’année, les projets de CollectorVision pour des machines plus récentes (comme Justice Beaver, prévu sur Super Nintendo) leur permettront de passer la seconde.
Sydney Hunter & the Sacred Tribe (Intellivision, 2016) [2nd video]
Durée : 02:40
Pour lui, « les joueurs “rétros” aiment tenir un objet entre leurs mains, mettre un jeu dans une vieille console, regarder la boîte, lire le manuel. On peut physiquement ressentir qu’on n’a pas payé pour rien ». Car le retour de la cartouche, ce n’est pas que le retour d’un objet : c’est surtout celui d’un lien. D’une preuve matérielle, quelque chose de tangible qu’on peut montrer, exposer, entreposer, et, peut-être, un jour, transmettre. Une incongruité à l’heure du tout numérique, quand les joueurs doivent de plus en plus souvent se faire à l’idée de télécharger un jeu plutôt que d’en posséder une copie physique, avec sa boîte et son manuel.
L’annonce, il y a déjà un an, que les jeux de l’alors future Switch de Nintendo seraient stockés sur des cartouches avait d’ailleurs permis de prendre la mesure de cet enthousiasme presque excessif, les nostalgiques oubliant qu’en vérité, sur ses consoles Game Boy Advance, Nintendo DS et Nintendo 3DS, le constructeur japonais n’avait jamais cessé d’y avoir recours.
Cartouches et vinyles
La cartouche comme dernier lien physique avec sa passion, c’est aussi la conception qu’en a
Matthew « Matt » Phillips, développeur de Tanglewood, jeu Mega Drive prévu pour cet hiver :
« Si vous achetez un album dématérialisé ou que vous vous abonnez à un service de streaming, en fin de compte, vous ne possédez rien : vous avez juste l’autorisation de l’écouter. Vous ne pouvez pas vendre vos MP3 ou votre collection de jeux Steam sur eBay, comme vous vendriez vos vinyles ou vos jeux en boîte. C’est la négation du concept même de collection. »
TANGLEWOOD for the SEGA Mega Drive/Genesis - Tech Demo 0.0.13
Durée : 09:25
Financés par l’intermédiaire de la plate-forme collaborative Kickstartive, les créateurs de ce jeu, utilisable avec un simple émulateur sur PC, ont proposé à leurs contributeurs les plus généreux (au moins 40 livres, soit 45 euros) de le recevoir sur une véritable cartouche. « Les joueurs m’ont beaucoup mis la pression », confie M. Phillips. Avant d’expliquer la raison de cet enthousiasme :
« Il n’y a rien de comparable avec le fait de jouer à un vrai jeu Mega Drive sur une vraie console, à part peut-être jouer un vinyle sur une vraie platine. C’est un monde libéré de la complexité de la modernité, de ses téléchargements et de son streaming. Les vinyles ne sont pas vendus en différentes versions de différente qualité, ils ne sont pas soumis à une protection antipiratage, ils ne demandent pas d’installer les derniers codecs. Ils sont livrés sans publicité et n’arrêtent pas de tourner si la connexion Internet plante. On soulève le couvercle de la platine, on pose l’aiguille et c’est bon. De la même façon, on met une cartouche dans une console, on appuie sur le bouton et l’écran-titre apparaît. »
Même son de cloche chez iam8bit, les distributeurs des cartouches DuckTales et Street Fighter II. Pour sa cofondatrice Amanda White, « on aime l’idée de redonner de la densité à un média qui est de plus en plus dématérialisé. Mettre un vinyle comme insérer une cartouche, c’est un rituel, une série d’actions physiques, qui nous connecte au monde d’une façon unique. »
La bande-originale de « Seasons After Fall » sur disque vinyle. / G4F
A collectionner plutôt qu’à utiliser
Comme le vinyle, la cartouche est-elle susceptible de faire son grand retour chez les hipsters et les amateurs de sensation rétro ? Depuis quelques années déjà, des labels comme le français G4F s’aventurent sur un terrain à mi-chemin de ces deux phénomènes : la bande originale de jeu vidéo… en vinyle.
Parmi leurs clients figurent ainsi d’authentiques amateurs de musique (ceux qui achètent celle la bande originale de Furi et son casting électro prestigieux), mais aussi des joueurs à la recherche d’un témoignage tangible de leur expérience ludique, « comme ils achèteraient une statuette, constate Vincent Percevault, fondateur de G4F. Mais attention, c’est une approche très élitiste, puriste. On n’est pas dans la consommation de masse, ce n’est pas le genre de produit qu’on trouve à la Fnac. »
La Mega Drive Classic, capable de lire (tant bien que mal) les cartouches d’origine.
Et la cartouche, elle, doit en sus faire face à un handicap de taille : les Super Nintendo ou ColecoVision qui permettent de faire tourner ces jeux, à l’inverse des platines, sont introuvables dans le commerce. Ou, à l’image de la Mega Drive Classic éditée par AtGames, de qualité très médiocre.
Les cartouches d’Iam8bit et des développeurs indépendants vont-elles rejoindre massivement les étagères des collectionneurs ? Possible, mais pas avant que Nintendo, Sega et les acteurs de l’époque ne donnent les moyens à leurs clients de les lire.