TV : « Dans le ventre de l’hôpital »
TV : « Dans le ventre de l’hôpital »
Par Daniel Psenny
A rattraper. Un documentaire sur le quotidien harassant des chirurgiens et des aides-soignantes de l’hôpital Saint-Louis, à Paris (sur Arte+7)
Dans le ventre de l'hôpital - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31
Au bloc opératoire de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, l’un des grands établissements parisiens de l’Assistance publique (AP-HP), chirurgiens, anesthésistes et aides-soignants travaillent à flux tendu. Chaque jour, ils effectuent huit à dix interventions (parfois très pointues) dans les quatorze salles d’opération en suivant des protocoles d’organisation assez complexes que les gestionnaires cherchent à « optimiser » en permanence.
La pression est forte pour le personnel médical qui, au fil du temps, a vu la rentabilité économique de l’hôpital remplacer l’humanité et l’empathie pour les malades. Le mal-être s’est installé, les états d’âme se sont exprimés, et les tensions sont devenues de plus en plus intenses au sein des équipes. Pour certains, ce fut même le burn-out.
Passion et abnégation
Entre 2014 et 2016, le réalisateur Jérôme Le Maire – qui s’est inspiré du livre Global burn-out, de Pascal Chabot (PUF, 2013), sur le syndrome d’épuisement professionnel –, s’est installé pendant un an, sans filmer, au sein de cette unité médicale pour écouter et observer ce qui s’y passait. Il a ensuite tourné seul, pendant une autre année, le quotidien de ces professionnels qui, avec une grande abnégation et parfois encore de la passion, soignent, réparent et sauvent des vies.
« J’ai procédé un peu comme un chirurgien qui va opérer, disons, un ménisque : il pose d’abord un champ opératoire et, pendant son intervention, ne se concentre que sur son objet », explique le réalisateur. Derrière les portes des salles d’opération, il a pu constater que le malaise était général et a filmé au plus près leurs conditions de travail de plus en plus précaires.
Entre deux interventions où les engueulades sont fréquentes entre les différents intervenants et les réunions qui tournent aux règlements de comptes, il a recueilli la parole de ces professionnels qui confient leurs états d’âme, expriment leurs souffrances et leur détresse. « On n’est plus que des pions qui faisons tourner la machine », constate amèrement un chirurgien qui auparavant était considéré « comme un prince » dans l’hôpital.
Au coeur du bloc opératoire de l’hôpital Saint Louis / © Jérôme le Maire-AT-Doc
« Les conditions de travail se sont dégradées, mais le travail, lui, ne doit pas se dégrader », poursuit un autre. « Je ne sais plus quel est le sens de mon métier », dit encore une anesthésiste au bord des larmes, qui a lancé l’alerte auprès de ses supérieurs pour signaler les dégâts humains liés au mauvais fonctionnement de ce service.
Cette intervention a obligé la direction de l’hôpital à lancer un audit. « Dans le jargon des spécialistes du burn-out, on appelle ce genre de personne une “toxic handler”, quelqu’un capable de percevoir ce qui se passe dans son environnement et de prendre à son compte la souffrance de ses collaborateurs », explique Jérôme Le Maire.
L'hôpital au bord du burn out
Durée : 01:54
Cette immersion au cœur du personnel hospitalier est impressionnante, et même parfois inquiétante. Après la projection du documentaire dans différents hôpitaux, la direction de l’AP-HP qui avait donné son autorisation de filmer dans le service, a critiqué la démarche du réalisateur. Elle estime que Jérôme Le Maire a réalisé « un film à thèse sur le burn-out en l’illustrant par des scènes tournées au bloc opératoire et en sélectionnant les images nécessaires à sa démonstration dans la matière très riche recueillie au cours de ses années de présence ».
Dans le ventre de l’hôpital, de Jérôme Le Maire (France, 2015, 83 min).