Le jeu de gestion agricole Stardew Valley, un des plus gros succès indés de 2016, est sorti sur Switch le 5 octobre. / Nintendo

Au royaume des champignons, les petites perles sont reines. Vendredi 5 octobre, ce ne sont pas moins de trois classiques de la scène du jeu vidéo indépendant qui sont arrivés coup sur coup sur la boutique en ligne de la dernière console de Nintendo, la Switch.

Parmi ceux-ci, le succès surprise de l’année 2016, le très mignon simulateur de ferme Stardew Valley, écoulé à plusieurs millions d’exemplaires sur Steam ; un des titres les plus salués de 2015, le jeu d’action 2D à la mode des années 1990, Axiom Verge ; et à la marge, l’exigeant jeu de plate-forme de 2013, Völgarr the Viking, très apprécié des amateurs de défi. Ils sont venus s’ajouter aux non moins populaires Lovers in a Dangerous Spacetime, Butcher ou encore The Binding of Isaac : Afterbirth, arrivés sur la console fin septembre.

La Switch, paradis du jeu indé ? L’idée peut sembler contre-naturelle, les jeux de Nintendo ayant toujours phagocyté l’attention des joueurs sur ses consoles. Et pourtant, la dernière-née du constructeur japonais est en train de s’imposer comme une plate-forme de choix pour les amateurs de ces productions artisanales aux moyens limités mais à la créativité débordante.

Conditions optimales

La Switch s’est imposée comme un écosystème particulièrement accueillant pour ces titres. Outre que celle-ci a connu en mars dernier un lancement réussi – près de 3 millions de machines vendues en trois semaines –, son concept hybride entre portable et nomade offre une seconde vie plus portative à bien des jeux jusqu’alors réservés au PC ou à des consoles de salon. La PS Vita, la console portable lancée par Sony en 2012, s’était déjà aventurée sur cette proposition, mais avec un succès moindre : seules 15 millions de consoles auraient trouvé preneur en cinq ans, chiffre que la Switch peut raisonnablement atteindre en dix-huit mois.

A contre-courrant de Sony, Nintendo communique beaucoup sur son catalogue de jeux indés, qui s’enrichit à vitesse grand V. / Nintendo

Comme toute plate-forme encore jeune, la machine de Nintendo a par ailleurs l’avantage de ne pas être encore saturée. Au printemps, un jeu indé présent en exclusivité sur Switch pouvait aisément atteindre les 50 000 ventes – chiffre qui ferait aujourd’hui office de miracle sur Steam, où en 2016, la moitié de la production n’atteignait plus les 6 000 ventes.

En outre, Nintendo maintient une politique de prix élevé qui a le mérite pour les studios de ne pas dévaluer la valeur perçue des jeux – sur Steam, les sorties de 2016 ont fini l’année avec des revenus totaux médians de seulement 7 000 dollars par jeu, les prix comme les ventes s’y étant écroulés.

En dématérialisé, « Golf Story » plus populaire que « FIFA 18 »

Le résultat, ce sont des succès commerciaux à répétition, comme Shovel Knight, une des révélations de l’année 2013, qui a réalisé son meilleur lancement sur Switch, alors que le jeu était vieux de trois ans et demi et déjà disponible sur de nombreuses autres plates-formes.

Si l’on en croit le top mensuel des ventes diffusé comme chaque mois par Nintendo, en septembre, derrière le crossover événement Mario + Lapins crétins et le très nostalgique Sonic Mania, c’est SteamWorld Dig2, une pure production indé, qui s’est placée sur le podium des ventes. Mieux : derrière l’inépuisable Minecraft, la cinquième place revient à Golf Story, jeu de rôle sportif mignon et artisanal sorti dans l’anonymat le plus complet, mais qui a conquis davantage de joueurs que le mastodonte FIFA 18 – au moins en dématérialisé.

Et selon des spécialistes de la distribution dématérialisée, le moindre titre indé se vend plus sur Switch que sur PlayStation 4 et Xbox One réunies, en dépit d’un parc installé bien moindre – 5 millions pour la première, contre près de 100 millions pour les suivantes. Ces indés, que Nintendo surnomme de manière abusive « Nindies », sont même régulièrement mis en avant, par exemple fin août à la GamesCom de Cologne, où le constructeur japonais a présenté un riche calendrier de sorties pour les mois à venir.

Nintendo Switch Nindies Showcase Summer 2017
Durée : 22:03

La menace imminente des « gros poissons »

Interrogé par GamesIndustry, l’ancien responsable du catalogue indé de la gamme PlayStation, Shahid Ahmad, explique ce succès de la scène indé sur Switch par l’absence structurelle de superproductions, ces jeux vendeurs mais très onéreux à développer. Combien de temps cet eldorado peut-il durer ?

« Cela fonctionne parce que les gros éditeurs hésitent à s’engager tant qu’ils ignorent les chiffres de ventes de la plate-forme, et que le marché qu’ils peuvent viser, quelles que soient les ventes, ne leur fournira probablement pas un retour sur investissement suffisant. »

Et de prévenir qu’une fois Noël passé, la taille du marché de la Switch attirera naturellement de « gros poissons ». Déjà, des géants américains comme Bethesda et Rockstar ont annoncé leur arrivée prochaine sur la console, avec des portages de jeux à gros budget comme Doom, Wolfenstein 2 et L.A. Noire.

Le rythme des sorties va également en s’accélérant – de deux jeux par semaine à ses débuts, la console de Nintendo est passée à dix-huit début octobre, et certains redoutent qu’à se remplir trop vite, son catalogue finisse à son tour par être illisible pour les consommateurs et saturé – ce que les professionnels ont observé sur Steam, et surnommé « l’indiepocalypse ».

La facilité avec laquelle les outils de développement modernes permettent d’adapter un jeu existant sur une nouvelle machine peut à la fois lui permettre de rapidement enrichir son catalogue – comme c’est le cas de la Switch – comme de l’inonder.