En Afrique du Sud, le cinéma dans le secret des Xhosas
En Afrique du Sud, le cinéma dans le secret des Xhosas
Par Adrien Barbier (Johannesburg, correspondance)
Si le film « Les Initiés » a choqué en Afrique du Sud, ce n’est pas en raison des relations homosexuelles qu’il relate mais parce qu’il lève le voile sur un rite ancestral pratiqué par les hommes de l’ethnie xhosa.
L’acteur Nakhane Touré, 29 ans, a reçu des menaces de mort après son rôle dans « Inxeba » (« Les Initiés » ). / Pyramide Films
Le film Inxeba n’est pas encore sorti en Afrique du Sud qu’il y fait déjà scandale. Le long-métrage de John Trengove a été présenté au Festival du film de Sundance en janvier, puis à la Berlinale, en février ; il est sorti en salle dans plusieurs pays (dont la France, en avril, avec le titre Les Initiés) et représentera, si le pays est retenu, l’Afrique du Sud aux prochains Oscars dans la catégorie « Meilleur film étranger ». Pour prétendre à la statuette américaine, le prérequis était que le film soit projeté dans le pays d’origine, ce qui est désormais le cas : des séances ont eu lieu, du 15 au 21 septembre, à Johannesburg et au Cap. Les projections ont affiché complet et se sont déroulées sans encombre, plusieurs mois avant la sortie officielle, prévue en février 2018.
Un passage à l’âge adulte
Inxeba décrit un triangle amoureux masculin sur fond de rite initiatique ancestral. Le cadre de l’histoire est l’ulwaluko, un rituel pour les Xhosa, la deuxième ethnie du pays, dont l’idiome se caractérise par des claquements de langue. Le passage à l’âge adulte des Xhosa de 16 à 19 ans passe par le rituel de la circoncision, sans anesthésie. Ils doivent ensuite attendre la cicatrisation reclus, sans eau ni nourriture, pendant une semaine, entourés d’initiateurs. Nakhane Touré, un chanteur populaire de 29 ans, joue Xolani, l’un d’entre eux. Chaque année, il repart dans les montagnes encadrer un groupe de futurs initiés et, surtout, retrouver en catimini son amour de jeunesse, Vija, marié avec enfants.
Ces dernières semaines, la bande-annonce a enflammé les réseaux sociaux. « On va te brûler vif » : ce genre de menaces, Nakhane Touré en a reçu des centaines. « Je me souviens avoir tweeté la vidéo et des centaines de gens ont surgi sur ma timeline, furieux que le rite xhosa de passage à l’âge adulte soit exposé au monde. Il y avait beaucoup d’homophobie, mais surtout des remarques du type “ce qui se passe dans la montagne reste dans la montagne” », relate-t-il. « Ce film dévoile tout – même ce qui est secret et confidentiel. C’est une insulte à nos traditions, on dépouille notre culture de son caractère sacré. Cela va provoquer la colère des ancêtres », s’est insurgé le roi xhosa, Mpendulo Zwelonke Sigcawu. Ce leader traditionnel a agité ses avocats pour tenter de faire interdire le film, sans succès. Comble du sacrilège, Inxeba est réalisé par un Sud-Africain blanc, John Trengove, dont le travail a par ailleurs été salué par la critique.
En Afrique du Sud, les couples de même sexe peuvent se marier et adopter, même si les attaques homophobes restent légion. Mais, plus que l’homosexualité, on reproche surtout au film de John Trengove de briser un tabou en monnayant la culture traditionnelle de l’ethnie xhosa. « Je ne comprends pas comment autant de gens, Xhosa et non-Xhosa, sont arrivés à cette conclusion après une bande-annonce de deux minutes », s’étonne Niza Jay Ncoyini, qui interprète un jeune initié, dans une tribune publiée dans le Mail & Guardian. Son personnage, un trublion de Johannesburg, vient bouleverser l’idylle secrète et brutale de Xolani et Vija. « Le film relate la relation compliquée entre trois hommes Xhosa qui ont une compréhension et une incarnation de la masculinité très différente. Ce film est une confrontation autour de ce que cela signifie d’être un homme, en particulier un Xhosa. »
Ouvertement homosexuel, Nakhane Touré, lui-même passé par le rite xhosa, a, en jouant dans ce film, revécu sa propre histoire. À ses yeux, loin d’être une critique de sa culture, Inxeba invite plutôt à en découvrir toute la complexité. « Le rite est un espace où les hommes sont autorisés à être vulnérables. On met sa vie, et son pénis, littéralement, entre les mains d’autres hommes », affirme-t-il.