« Abolir l’ISF, c’est dire au monde mais aussi à toutes les fortunes françaises que l’hexagone est propice à l’entreprise »
« Abolir l’ISF, c’est dire au monde mais aussi à toutes les fortunes françaises que l’hexagone est propice à l’entreprise »
Par Jean-Marc Dumontet (Chef d'entreprise)
La suppression de la taxe sur la fortune qu’Emmanuel Macron prévoit ne ramènerait pas beaucoup d’argent. Pour Jean-Marc Dumontet qui répond, dans une tribune au « Monde », à Thomas Piketty, il se cache un changement de paradigme que le président de la République veut mettre en place.
« S’attaquer à l’ISF, ce n’est pas, paradoxalement, agir pour quelques-uns mais pour l’ensemble ». / Michael Probst / AP
Fallait-il que ce jeune président de la République soit bien impétueux pour se hasarder dans un combat pour le moins périlleux quand on connaît les penchants des Français pour l’égalitarisme forcené. Le précédent président s’était même fait élire sur son aversion pour les riches.
Quitte à bousculer encore davantage les passions françaises, quitte à user son capital politique à court terme, Emmanuel Macron a pourtant décidé dès les premières semaines de son quinquennat de transgresser un des symboles français les plus forts, que la droite malgré ses rodomontades n’a jamais aboli : l’Impôt sur la fortune.
Immédiatement, tous ceux qui font profession contre l’argent roi avec parfois des névroses obsessionnelles – l’alpha et l’oméga de toute politique ne pouvant procéder que d’un acharnement à combattre les riches – se sont emportés contre cette décision pourtant si nécessaire. Thomas Piketty, à qui nous devons au moins le titre de cette tribune, qu’il en soit remercié, y voit même une faute historique. Que de contresens de sa part et quel regret qu’un esprit aussi brillant ne sache quitter un instant ce logiciel exclusif de l’égalité, vieille lune si contre-productive quand il nie la liberté.
Face au chômage de masse dont nous avons été incapables de nous débarrasser depuis trente ans, il est urgent d’appliquer des méthodes simples qui ont partout fonctionné : seules les entreprises créent de l’emploi et l’intérêt commun est bien de réorienter notre économie et de créer un contexte favorable à tous ceux qui entreprennent. S’attaquer à l’ISF, ce n’est pas, paradoxalement, agir pour quelques-uns mais pour l’ensemble.
A la différence de Nicolas Sarkozy ou de François Fillon
En termes politiques, et c’est en cela que la démarche d’Emmanuel Macron est estimable, il y a tout à perdre en engageant une telle réforme. Les riches ne constituent qu’une fraction de la population française, de ses contribuables… et de ses électeurs. Ceux qui pensent qu’Emmanuel Macron pencherait de leur côté, ne le connaissent pas et se trompent.
A la différence de Nicolas Sarkozy ou de François Fillon - et c’est leur droit - qui n’ont jamais dédaigné afficher, signes ostentatoires à l’appui, leur amour de l’argent, et leur goût du luxe, Emmanuel Macron, a accepté de quitter la banque d’affaires et ses appointements mirobolants pour diviser par dix ses rémunérations.
A titre électoral, sa volonté de remplacer l’ISF, par un impôt sur la rente immobilière était même contre-productive. Il me rappelle des levées de fonds, accomplies tout au long de la campagne par ce candidat sans financement public, où de très nombreux électeurs s’affichaient en faveur du candidat des Républicains qui promettait l’abolition – ce qu’il n’avait pas fait pendant le quinquennat de N. Sarkozy.
Face à leurs attentes fortes, et à un moment où les courbes ne s’étaient pas encore croisées en sa faveur, jamais Emmanuel Macron avec la franchise qu’on se surprend à lui reconnaître maintenant, n’a dévié de son programme, expliquant à quel point la réforme qu’il mettrait en œuvre devrait ouvrir le pays à la compétition mondiale.
C’est donc ridicule d’imaginer, je ne sais quel tropisme du président Macron en faveur des riches. Ridicule également d’imaginer que sa politique fiscale les privilégierait, alors que la suppression de la taxe d’habitation et la baisse des cotisations sociales octroieront immédiatement du pouvoir d’achat au plus grand nombre.
Le coût de cette mesure (trois milliards) est très éloigné du poids des dépenses pour l’éducation, de l’apprentissage ou de la formation des moins qualifiés, et pourtant elle colore artificiellement la politique fiscale du gouvernement.
SI le nouveau président de la République assume et entend promouvoir cette réforme, c’est qu’elle porte deux signaux forts. Le premier c’est qu’à la différence de toutes les démagogies et certains instincts bas qu’il est mauvais de flatter, car cela ne rend ni notre pays, ni notre démocratie adulte, c’est un très mauvais sport que de détester les riches.
Il est plus que temps que la France, qui n’aime ni l’échec ni la réussite revisite ses façons de penser. Diaboliser l’argent, mépriser la réussite, n’a pas aidé notre pays à retrouver les chemins de la croissance, bien au contraire.
Le premier objectif de cette réforme c’est donc de modifier le rapport de notre pays à la réussite, l’élection d’Emmanuel Macron ayant déjà bousculé les clichés répandus sur la France et sa défiance profonde à l’égard de l’argent. Abolir l’ISF, c’est dire au monde mais aussi à toutes les fortunes françaises tentées par l’exil fiscal que l’hexagone est propice à l’entreprise et que le climat pour les affaires n’y sera plus hostile.
Ce n’est pas en termes économiques (la baisse de 3 milliards de taxations ne peut engendrer de révolution sur notre PIB) que les effets de cette réforme se feront sentir. Le bouleversement viendra du symbole ; désormais la France ne sera plus une exception dans le monde et l’argent, ce mal nécessaire, qui ne mérite ni tous ces excès d’indignité ni tous ces excès d’honneur, n’y sera plus banni. En quelque sorte, cette réforme doit permettre de rompre avec l’idée qu’on ne peut pas entreprendre et réussir en France.
Le deuxième objectif, lui aussi d’ordre psychologique plus qu’économique, c’est d’orienter les Français vers le monde de l’entreprise plus que vers l’immobilier, vers le risque plus que vers la rente, vers l’aventure, plus que vers la sécurité. Car au moment, où l’économie mondialisée exige de plus en plus d’agilité, au moment où la destruction créatrice chère à Schumpeter et au Président, exige de plus en plus d’agilité et de capitaux pour embrasser de nouveaux paris, l’envie, la nécessité même d’orienter très nettement les capitaux français – quand on sait que les entreprises françaises, celles d’aujourd’hui et de demain, en manquent cruellement - vers l’économie est une urgence.
Le signal qu’envoie cette réforme est un appel à la responsabilité pour tous ceux qui ont la chance, et ont eu souvent le mérite, de disposer d’un patrimoine important. C’est très bien d’être un pays de propriétaires, c’est encore mieux, qu’en même temps, nous devenions un peuple d’entrepreneurs irrigués par des financements de plus en plus larges.
Enfin le troisième mérite de cette réforme, auquel l’exécutif n’a pas songé, est politique. Une très grande défiance s’est installée entre les Français – lassés de promesses non tenues, de déclarations dont la démagogie le disputait à la sottise (« Mon véritable adversaire (...), c’est le monde de la finance », François Hollande, en 2012) – et leur classe politique.
La capacité d’Emmanuel Macron malgré les cohortes de commentateurs qui brandissent la faute morale ou politique, à maintenir son cap, est une réponse à l’impuissance publique dont nous souffrons tant. En engageant comme il l’avait promis cette suppression, Emmanuel Macron fait le pari que son capital politique actuellement écorné, se reconstituera quand les Français se rendront compte qu’il tient, même dans l’adversité, ses engagements et la ligne fixée.
Paradoxalement cette réforme controversée pourrait signer le début d’un nouveau pacte de confiance…