« La stabilité du Mozambique est mise à l’épreuve par la violence et la lutte pour le pouvoir »
« La stabilité du Mozambique est mise à l’épreuve par la violence et la lutte pour le pouvoir »
Par Alex Vines
Alex Vines, chercheur pour Chatham House, décrypte les fragilités sécuritaires, politiques et économiques auxquelles est confronté le président Filipe Nyusi.
A l’issue de son onzième congrès, lundi 2 octobre à Matola, le Front de libération du Mozambique (Frelimo, au pouvoir) a investi à l’unanimité l’actuel président, Filipe Nyusi, à sa tête et, par conséquent, comme candidat pour l’élection présidentielle de 2019. Celui-ci a consolidé son pouvoir au sein du parti en désignant de nouveaux alliés au sein de sa commission politique et affaibli l’influence de son prédécesseur, Armando Guebuza.
Cependant, en dehors du parti, M. Nyusi est confronté à des difficultés politiques et économiques croissantes, ainsi qu’à la menace grandissante de la violence armée, particulièrement visible ces derniers jours.
Ainsi, le 5 octobre, un groupe d’une trentaine d’hommes a attaqué trois postes de police à Mocimboa da Praia, dans la province de Cabo Delgado. La veille, le maire de la troisième ville du pays, Nampula, a été abattu alors qu’il assistait à une cérémonie commémorant le 25e anniversaire de l’Accord général de paix qui a mis fin à la guerre civile opposant le gouvernement et la guérilla de la Renaissance nationale du Mozambique (Renamo), devenue aujourd’hui parti d’opposition.
Bande cagoulée
Depuis 2013, une lutte armée pour le pouvoir entre le gouvernement et la Renamo refait surface, mais ces récents événements portent à croire que la violence s’étend désormais au-delà de cette division. Le maire de Nampula, Mahamudo Amurane, était membre du Mouvement démocratique du Mozambique (MDM), un parti de l’opposition non armée, mais s’était éloigné progressivement de ce dernier et prévoyait de se présenter comme candidat indépendant lors des élections municipales d’octobre 2018. Sa mort pourrait être liée à son différend avec le MDM ou à ses initiatives visant à combattre la corruption dans sa ville.
L’attaque armée de Mocimboa da Praia est tout aussi préoccupante. Bien que la police mozambicaine affirme avoir tué une dizaine de membres du commando et en avoir arrêté deux autres, les véritables motivations de cette bande cagoulée restent peu claires. Les assaillants, munis de kalachnikovs (la police en a saisi deux) et de machettes, ont tué au moins deux policiers. Ils voulaient vraisemblablement se procurer d’autres armes à feu, une tactique également utilisée par la Renamo pendant ses opérations armées contre le gouvernement.
Les premières informations parues dans la presse indiquant qu’il s’agissait d’un groupe de chabab paraissent erronées. Les actions de cette organisation terroriste se sont limitées jusqu’à présent aux pays fournissant un appui militaire à la Somalie, dont le Mozambique ne fait pas partie. Toutefois, il est possible que certains des auteurs de l’attaque appartiennent à une sorte de mouvance islamiste locale, même s’ils peuvent tout aussi bien avoir été motivés par d’autres types de revendications – le sentiment d’inégalité est fort dans la province de Cabo Delgado et les habitants ont de plus en plus l’impression d’être privés de leur droit de représentation par des membres de l’élite politique qui pensent avant tout à s’enrichir.
Déficit budgétaire
Le principal défi politique de M. Nyusi est de se remettre en prise avec l’électorat. Au cours du onzième congrès, il a rappelé que, lors de l’élection présidentielle de 2014, le Frelimo n’a remporté que 2,8 millions de voix alors qu’il compte 4,2 millions d’adhérents. Les législatives qui se sont déroulées en même temps lui ont fait perdre 47 députés à l’Assemblée de la République. L’économie, en berne, et la recherche d’un accord avec le parti d’opposition armée sont les deux autres priorités.
Par ailleurs, la crise de la dette publique dissimulée, qui s’élève à quelque 2 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros), n’est pas encore résolue malgré un audit indépendant réalisé par Kroll, un cabinet spécialisé dans la gestion des risques. Quatorze pays donateurs de longue date ont gelé leur aide directe au budget de l’Etat à la suite de ce scandale. Comme le Fonds monétaire international (FMI), ils ont annoncé que l’audit de Kroll n’était que le début d’un processus et qu’ils attendaient de plus amples informations avant d’envisager de débloquer des fonds.
Le gouvernement est à court de financements ; sa prévision de réduction du déficit budgétaire, de 10,7 % du PIB en 2017 à 9,7 % en 2018, semble utopique. M. Nyusi va devoir s’appuyer sur sa position renforcée à l’issue du congrès pour obtenir un consensus au sein du Frelimo afin qu’il communique suffisamment d’informations supplémentaires pour rassurer les donateurs habituels.
Le Mozambique doit en outre améliorer de toute urgence son climat d’investissement et la confiance dans ses institutions. Le nouveau classement mondial de la compétitivité établi par le Forum économique mondial place le Mozambique en 136e position sur 137 pays (seul le Yémen arrive derrière) et la Banque mondiale a abaissé son évaluation annuelle des politiques économiques du Mozambique à un niveau comparable à celui du Soudan du Sud.
Gisements gaziers
Quoi qu’il en soit, tout ne va pas mal. Les discussions avec la Renamo ont progressé. Le président Nyusi et le chef de ce parti, Afonso Dhlakama, sont parvenus à un accord de principe pour la désignation des gouverneurs de province lors des élections nationales de 2019. Renforcé par le congrès, M. Nyusi devrait être en mesure de faire avancer les négociations. L’intégration éventuelle d’anciens combattants de la Renamo dans l’appareil sécuritaire de l’Etat fait toujours l’objet de discussions, mais le débat s’est déplacé sur des détails concernant l’ancienneté, les effectifs et la faisabilité économique.
Le président doit maintenant afficher une volonté politique constante pour rétablir la confiance internationale dans la conduite des affaires économiques par le gouvernement mozambicain et conclure un accord pérenne et viable avec la Renamo. Ces deux objectifs sont réalisables, mais aucun n’est facile, surtout dans le contexte des élections municipales prévues en octobre 2018 et des élections nationales en 2019. De leur côté, les pays donateurs et le FMI doivent veiller à ce que leur réduction des fonds versés au Mozambique ne compromette pas ces progrès.
Sur le long terme, les perspectives économiques du Mozambique demeurent prometteuses grâce à la découverte de gisements gaziers de première qualité qui entreront en production dans les années 2020. En revanche, dans l’immédiat, la capacité des responsables politiques du pays à apporter une stabilité macroéconomique absolument vitale reste incertaine.
Alex Vines est directeur de recherche et responsable du programme Afrique du cercle de réflexion britannique Chatham House.
Texte traduit de l’anglais par Virginie Bordeaux.