Harcèlement sexuel : comment Harvey Weinstein a été mis en cause, puis blanchi en 2015
Harcèlement sexuel : comment Harvey Weinstein a été mis en cause, puis blanchi en 2015
Par Pierre Bouvier
La police et le procureur de New York se renvoient mutuellement la responsabilité de l’abandon des poursuites après une plainte pour attouchements.
Le calendrier judiciaire s’est accéléré pour Harvey Weinstein : selon le quotidien « Daily News », la justice chercherait à recueillir des éléments concernant des accusations de l’actrice Lucia Evans, portées dans « The New Yorker ». / RICHARD SHOTWELL/INVISION/AP
« Producteur, prédateur, paria », titrait le magazine Time, jeudi 12 octobre. A chaque jour son lot de révélations sur Harvey Weinstein. Agé de 65 ans, le producteur américain qui faisait et défaisait les carrières à Hollywood est accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles par des actrices, mannequins et employées depuis les années 1990.
Le calendrier judiciaire s’est précisé pour lui : la police de New York a ouvert une enquête sur une agression sexuelle présumée remontant à 2004. Selon le quotidien Daily News, la justice chercherait à recueillir des éléments concernant des accusations de l’actrice Lucia Evans, relayées dans un article publié mardi par The New Yorker. Elle affirme qu’Harvey Weinstein l’aurait forcée à lui faire une fellation en 2004, à New York.
Dans le même article, l’actrice italienne Asia Argento et une autre femme, qui a souhaité garder l’anonymat, l’accusent de viol. The Guardian signale de son côté qu’une enquête a été ouverte au Royaume-Uni, à la demande de la police de Merseyside (nord-ouest de l’Angleterre) pour une agression sexuelle. « Cette allégation sera traitée par l’unité de lutte contre la pédophilie et les crimes sexuels », a expliqué la police.
Mercredi, les actrices Cara Delevingne et Léa Seydoux ont évoqué leur confrontation avec le producteur. Avant elles, Mira Sorvino, Rosanna Arquette, Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie, Emma de Caunes et Judith Godrèche ont décrit dans le New York Times et le New Yorker son comportement de prédateur sexuel.
L’enregistrement d’Ambra Battilana Gutierrez
Pourtant, la police de New York (NYPD) était au courant de son comportement. En mars 2015, des agents de la Special Victims Unit (SVU), une unité spécialisée dans les crimes à caractère sexuel, ont enquêté sur les accusations d’Ambra Battilana Gutierrez. Dans une déposition, cette actrice italo-philippine avait affirmé que le producteur s’était livré à des attouchements sur elle, le 27 mars 2015.
Sur instruction du SVU, elle a sollicité une nouvelle entrevue avec lui. Elle s’y est rendue, porteuse d’un micro, afin d’enregistrer la conversation et de recueillir des preuves. C’est cet échange que The New Yorker a publié sur son site.
Weinstein, in conversation with Gutierrez, admits to groping her. Here’s the audio: https://t.co/zSQbK5NV0c https://t.co/vmrrSUp43w
— NewYorker (@The New Yorker)
Au cours de celui-ci, Harvey Weinstein reconnaît le geste déplacé et avoir voulu la contraindre à le rejoindre dans sa chambre d’hôtel. Selon une source policière interrogée par le New Yorker, ces attouchements constituent un délit et entraînent, normalement, l’ouverture de poursuites avec, à la clé, une peine pouvant aller jusqu’à trois mois de prison.
En avril 2015, le bureau du procureur de Manhattan décide toutefois de ne pas engager de poursuites.
Pas de preuve pour le bureau du procureur
Pourquoi, alors que l’enregistrement accable Weinstein, rien n’est enclenché ? Face à la polémique naissante, le bureau du procureur de New York, Cyrus Vance Jr, a ouvert, mardi, un contre-feu et récusé les accusations de laxisme :
« Si nous avions pu poursuivre Hargvey Weinstein pour ce qui lui est reproché en 2015, nous l’aurions fait (…). Après la plainte de 2015, le NYPD a – sans intervention de notre part et sans que nous le sachions – organisé une conversation téléphonique et une rencontre entre la plaignante et M. Weinstein. Les procureurs chevronnés de l’unité chargée des crimes sexuels n’ont pas eu l’opportunité d’apporter leurs conseils aux enquêteurs sur la manière de prouver qu’il y avait eu un délit sexuel (…). L’enregistrement lui-même ne permettait pas de prouver le délit dans le cadre des lois en vigueur dans l’Etat de New York. (…) Nous n’avons pas eu d’autre choix que de ne pas poursuivre. »
Pour autant, le bureau du procureur n’a pas fermé la porte aux poursuites, encourageant d’autres éventuelles victimes de M. Weinstein à prendre contact avec ses services.
Dans la foulée, le NYPD s’est fendu d’un communiqué dans lequel il contredit les affirmations du bureau du procureur, en répondant aux critiques sur son professionnalisme :
« L’enquête a été menée par des policiers expérimentés issus de la Special Victims Unit (SVU). Ces enquêteurs suivent un protocole d’investigation bien établi. L’enregistrement de cette conversation corrobore les accusations qui ont motivé la plainte de la victime. Cet enregistrement n’est qu’un des nombreux actes de l’enquête contre [H. Weinstein] qui ont été transmis au bureau du procureur. »
Un don à la campagne du procureur
Le procureur s’est défendu d’avoir enterré l’affaire Weinstein et avoir reçu une donation de la part de l’avocat du magnat. L’International Business Times explique qu’après la décision d’avril 2015 du bureau du procureur de ne pas ouvrir d’enquête contre les faits reprochés à M. Weinstein, David Boies, avocat du cabinet Boies Schiller Flexner défendant les intérêts d’Harvey Weinstein a fait, le 24 août 2015, un don de 10 000 dollars à la campagne pour la réélection de Cyrus Vance Jr. au poste de procureur démocrate du district de Manhattan. Ce montant ne représente qu’une fraction des 182 000 dollars qur M. Boies, son fils et ses associés ont apporté à la campagne de Cyrus Vance Jr.
Un porte-parole de Boies Schiller Flexner a transmis un communiqué à CNN expliquant que Boies avait représenté Weinstein et la Weinstein Company dans des dossiers civils pas des dossiers criminels.
Mansuétude pour les enfants Trump
Cyrus Vance Jr est aussi accusé d’avoir fermé les yeux sur une autre enquête, portant cette fois sur un projet immobilier d’Ivanka Trump et de Donald Trump Jr, à Soho, en 2012, rapportent le New Yorker, ProPublica et la radio WNYC.
Après l’abandon des poursuites, Marc Kasowitz, l’avocat de Donald Trump Jr, a rencontré le procureur et a fait un chèque de 25 000 dollars pour sa réélection. Le procureur lui a rendu son chèque. Marc Kasowitz lui en a fait un nouveau, cette fois d’un montant de 32 000 dollars. Que le procureur lui a retourné, en octobre 2017, quand l’article du New Yorker, de ProPublica et de la radio WNYC a été publié.
Qu’il ait bien ou mal agi dans le dossier Weinstein – et accessoirement dans celui des enfants Trump –, Cyrus Vance Jr. ne risque rien de la part des électeurs new-yorkais : il est le seul candidat au poste de procureur du district de Manhattan, dont l’élection aura lieu le 7 novembre.