Sélection DVD : Melville, la perfection du film noir
Sélection DVD : Melville, la perfection du film noir
Par Jacques Mandelbaum
Une anthologie réunit onze longs-métrages et un court signés du génie du polar, agrémentés de plus de sept heures de bonus passionnants.
C’est un gros coffret jaune canari avec, en couverture, de profil, sanglé dans un manteau de bonne facture, un type bedonnant, Stetson pâle fièrement posé sur le crâne, main dans la poche – suggérant le flingue au bout – et lunettes de soleil classieuses sur le nez. Le type s’appelle Jean-Pierre Grumbach, alias Jean-Pierre Melville, qui aurait eu 100 ans cette année. Le jaune a la couleur de l’étoile qu’il a refusé de porter. Le port de tête est celui d’un homme qui peut légitimement être fier d’avoir rejoint la France libre durant l’Occupation. L’horizon qu’il contemple est, sans doute, celui d’un pays qu’il vénère, même s’il emprunte son pseudonyme à l’un des écrivains américains qui fut, en son temps, le plus mal aimé des Américains.
Cinéaste fou de séries B hollywoodiennes, père ambigu de la Nouvelle Vague, unique représentant digne de ce nom du film noir en France, insupportable maniaque, mythomane d’une folle élégance, Melville, osons le mot, est un génie. Ce coffret qui en jette, c’est un peu l’édition ultime. Il contient presque tout ce qu’on en peut espérer : onze longs-métrages et un court, sept heures de bonus en tout genre (dont une master class animée par son neveu Rémy Grumbach et par son ami le journaliste Philippe Labro), ainsi qu’un livret spécialement conçu par l’excellent historien du cinéma qu’est Antoine de Baecque. Lequel signe, dans le même mouvement, au Seuil, un beau livre instructif qui satisfera ceux qui voudraient aller plus loin dans la connaissance du cinéaste.
Scènes mémorables
Il reste peu de chose à ajouter. Sinon qu’il est regrettable que deux titres – L’Aîné des Ferchaux et rien de moins que Le Deuxième Souffle – manquent à l’ensemble pour faire une véritable intégrale (les Parisiens pourront en revanche les voir au Champo), titres détenus par un possesseur de catalogue qui refuse, selon toute apparence, de faire affaire. Sinon que, parmi les onze longs-métrages restants qui le composent, l’art du polar et du film noir y prédomine évidemment, empruntant à la tragédie son déchirant fatum et à l’abstraction son épure, son économie. Caractéristiques, dira-t-on, des meilleurs polars. Certes, mais poussées par Melville à un point limite, au bord du maniérisme.
C’est cet équilibre foudroyant de classique et de moderne, de dignité morale et d’abjection, qui fait la grandeur de son cinéma. Bob le flambeur, Le Doulos, Le Cercle rouge, Le Samouraï, Un flic, autant de titres gravés dans l’histoire du cinéma, confinant à une sorte de perfection, conférant à leurs interprètes (Ventura, Belmondo, Delon, Montand, Bourvil…) leurs plus grands rôles. Rendant hommage au polar américain, Melville le mythifie et le transfigure, devenant à son tour l’une des sources canoniques d’un des genres les plus délibérément fétichisés du cinéma.
De sorte que cet ébouriffant talent est un des cinéastes les plus obsédants que l’on connaisse. Combien de scènes inscrites à jamais dans notre mémoire ? Le casse choral et méticuleux de la bijouterie de la place Vendôme dans Le Cercle rouge, la séance troublante de reconnaissance des suspects dans Le Samouraï, le braquage matinal d’une banque du littoral au début d’Un flic… Même qualité, hors polar, dans ce chef-d’œuvre qu’est L’Armée des ombres : le défilé de l’armée allemande sur la place de l’Etoile déserte, la course éperdue et l’évasion miraculeuse de Ventura dans le souterrain du peloton d’exécution. Il n’est pas jusqu’à la bande-son qui ne soit travaillée par l’esthète, lorsqu’il emprunte à son film préféré (Le Coup de l’escalier, de Robert Wise) le son d’un loquet de prison pour le faire claquer incessamment, lugubre comme le tocsin, à l’ouverture et à la fermeture du portail de la Gestapo, où s’engouffre la fausse ambulance des résistants qui ne savent pas encore qu’ils viennent délivrer un mort. Toute grande œuvre de cinéma est hantée.
Bande-annonce Anthologie Jean-Pierre Melville
Durée : 01:25
Anthologie Melville.Coffret 12 DVD (99,99 €) ou 12 Blu-ray (119,99 €). Studiocanal.
Intégrale Melville. Le Champo -Espace Jacques Tati, 51, rue des Ecoles, Paris 5e. Du 25 octobre au 14 novembre.
Jean-Pierre Melville, une vie, d’Antoine de Baecque (Seuil, 240 p., 32 €).