Les Rumsas, ces cyclistes lituaniens qui se dopaient en famille
Les Rumsas, ces cyclistes lituaniens qui se dopaient en famille
M le magazine du Monde
Le frère aîné a été suspendu pour dopage début octobre. Le cadet est mort en mai d’un étrange malaise. Les soupçons pèsent sur leur père et entraîneur, Raimondas Rumsas, ex-gloire du cyclisme déclaré positif à l’EPO en 2003.
Edita et Raimondas Rumsas en 2005 lors de leur procès pour transports illicites de produits dopants à l’époque du Tour de France 2002. / MaxPPP/PhotoPQR/Le Dauphiné Libre
Sur une photographie non datée, publiée par plusieurs journaux italiens, ils apparaissent souriants, blonds et alertes, avec un indiscutable air de famille. Deux jeunes cyclistes amateurs en tenue posent au côté d’un homme plus petit et à peine moins maigre, leur père et entraîneur, vêtu d’un simple tee-shirt gris. Celui-ci semble à peine plus âgé qu’eux. La star, c’est lui, Raimondas Rumsas, gloire déchue du cyclisme et héros national lituanien, qui pose avec ses deux fils, Raimondas Junior et Linas. L’ensemble de la scène dégage une impression de santé, de passion du vélo et d’amour filial.
Pourtant, avec le recul, l’image a quelque chose de glaçant : en effet, le 2 mai, Linas Rumsas, 21 ans, membre de l’équipe espoirs lituanienne de cyclisme, est mort à Lucques, en Toscane, d’un arrêt cardiaque, quelques heures après avoir été hospitalisé pour un étrange malaise, sur lequel planent des soupçons de dopage.
Début octobre, c’est son frère aîné, Raimondas Junior, qui a été « suspendu à titre conservatoire », un mois après un contrôle inopiné réalisé en marge d’une course toscane, qui s’est révélé positif à l’hormone de croissance. Pour le quotidien La Stampa, « c’est presque une chance que le TNA [Tribunal national antidopage italien] l’ait dépisté. Peut-être lui ont-ils même sauvé la vie ».
Dans le coffre, plus de trente produits dopants
L’incroyable histoire de dopage en famille du clan Rumsas a commencé par un scandale presque comique, le 28 juillet 2002, à la frontière franco-italienne. Raimondas Rumsas, leader de la formation italienne Lampre, en termine avec un Tour de France outrageusement dominé par l’Américain Lance Armstrong. Tandis qu’il grimpe sur la troisième marche du podium, signant la plus belle performance de sa carrière, son épouse Edita, en route pour la Toscane, est arrêtée dans les environs de Chamonix. Dans le coffre de la voiture, les enquêteurs trouvent une invraisemblable cargaison de médicaments. EPO, testostérone, corticoïdes… En tout, pas moins de 36 produits différents, la plupart considérés comme dopants.
Pour sa défense, Edita Rumsas affirme aux policiers français que ces produits sont destinés à sa mère malade. Une explication qui amuse plus qu’elle ne convainc : la femme du coureur cycliste en sera quitte pour deux mois et demi de détention préventive. Elle sera libérée sur présentation des prescriptions d’un étrange médecin polonais, tandis que les résultats des différents tests antidopage réalisés sur Raimondas Rumsas se révéleront tous négatifs.
L’enquête a peu de chance d’aboutir
Mais ce n’est que partie remise : au printemps 2003, lors du Tour d’Italie, Raimondas Rumsas est déclaré positif à l’EPO. Cette fois-ci, il ne réussit pas à passer entre les gouttes, et est aussitôt suspendu. Après un retour dans le peloton, météorique et sans relief, au sortir de sa suspension, il rompt avec le monde professionnel en 2005. Mais pas avec le cyclisme : on le retrouve bientôt écumant le circuit amateur italien, cette fois dans le rôle de l’entraîneur. C’est à ce titre qu’il prend sous son aile ses deux fils, au sein de l’équipe Altopack.
En enquêtant sur la mort de Linas Rumsas, les carabiniers remarquent vite les nombreux allers et retours que les jeunes coureurs de la formation effectuent, depuis le chalet où ils s’entraînent jusqu’au domicile de leur entraîneur, non loin de Lucques. Lors de la perquisition de la maison des Rumsas, ils saisissent, selon un vertigineux inventaire établi par le Corriere della Sera, « des seringues, des aiguilles à perfusion, de l’insuline, des hormones données aux femmes enceintes, des médicaments antidouleur et des somnifères ». Le tout sans aucune prescription médicale.
Comme quinze ans auparavant, Edita se mure dans le silence, et proteste de son innocence, tout en exigeant que toute la vérité soit faite sur la mort de son enfant. Une requête qui a bien peu de chances d’aboutir. Au printemps, Raimondas et Edita Rumsas ont demandé que leur fils soit incinéré, ce qui rend impossible toute nouvelle expertise sur les causes de son décès.