Les décrets sur les représentants du personnel inquiètent les syndicats
Les décrets sur les représentants du personnel inquiètent les syndicats
Par Raphaëlle Besse Desmoulières, Bertrand Bissuel
La création du comité social et économique va réduire le nombre d’élus et, dans certains cas, celui des heures de délégation.
Ce sont quelques-unes des dernières briques ajoutées à l’édifice de la réforme du code du travail. Neuf projets de décrets, qui complètent les ordonnances publiées le 23 septembre au Journal officiel, doivent être présentés pour avis le 26 octobre aux partenaires sociaux, lors d’une réunion dans les locaux de la direction générale du travail (DGT). Parmi ces textes, que Le Monde a pu consulter, il y en a un qui était très attendu par les organisations syndicales : celui sur les moyens donnés aux membres du futur comité social et économique (CSE) – la nouvelle instance issue de la fusion du comité d’entreprise (CE), des délégués du personnel (DP) et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le projet de décret détermine, en effet, le nombre d’heures de délégation accordées aux représentants du personnel pour exercer leur mandat.
Comme auparavant, ce crédit d’heures augmente avec la taille de l’entreprise, 54 cas de figure différents étant désormais prévus. « Une usine à gaz », soupire Gilles Lecuelle, de la CFE-CGC. Ainsi, dans les entreprises de 11 à 24 personnes, il y aura un élu qui disposera de 10 heures de délégation par mois. A l’autre extrémité du spectre (les sociétés employant au moins 10 000 personnes), le nombre de représentants titulaires atteindra 35, chacun d’eux disposant de 34 heures de délégation.
Celles-ci pourront être annualisées et mutualisées. Un élu qui bénéficie de 10 heures de délégation mensuelle pourra, par exemple, en consommer 5 en janvier (mais pas moins) et 15 en février (mais pas plus). Même mécanisme s’agissant du transfert d’heures de délégation entre membres du CSE : le donateur pourra en reverser cinq sur un mois mais pas plus et le « receveur » pourra voir son crédit d’heures porté à 15 dans le mois (mais pas plus). Un autre projet de décret vient par ailleurs plafonner à douze ans la durée des mandats successifs des membres de la délégation du personnel du CSE.
« Ils y vont à la schlague ! »
Si les syndicats s’étaient préparés à une diminution du nombre d’élus siégeant dans la future instance, ils ne pensaient pas qu’elle serait aussi importante. C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre, vendredi 20 octobre, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, en sortant d’une rencontre avec la ministre du travail, Muriel Pénicaud. « On a beaucoup bataillé pour qu’il y ait des moyens en heures identiques à ce qu’ils étaient précédemment », a-t-il expliqué à l’AFP. Et de ce point de vue-là, la centrale cédétiste estime avoir obtenu satisfaction. En revanche, a ajouté M. Berger, « il y a la baisse du nombre de mandats qui est pour nous inquiétante ».
Membre du bureau confédéral de Force ouvrière, Didier Porte est encore plus alarmiste, que ce soit sur le nombre de représentants ou d’heures : « Ils y vont à la schlague ! » Il prend ainsi l’exemple d’une entreprise qui compte entre 50 et 74 salariés : « Jusqu’à maintenant, avec les instances séparées, il y avait huit élus qui disposaient de 96 heures cumulées par mois, précise-t-il. Demain, ils ne seront plus que quatre avec 72 heures cumulées mensuelles. » M. Porte trouve « paradoxal de vouloir “décentraliser le dialogue social dans l’entreprise”, comme dit le gouvernement, et d’enlever des moyens aux représentants du personnel ».
La CGT est également vent debout. « Ces projets de décrets ne permettent pas de rééquilibrer les mesures retorses et régressives des ordonnances, dénonce Fabrice Angei, membre du bureau confédéral. Pour nous, ce n’est pas une question de curseur : cela va conduire à un éloignement des salariés et à une professionnalisation des élus. »
Crédit d’heures
Une appréhension partagée par M. Lecuelle : il craint que les représentants du personnel, désormais moins nombreux, aient une connaissance moins fine de leur entreprise et passent à côté de « signaux faibles », révélateurs de dysfonctionnements susceptibles de s’aggraver. Il regrette aussi que les membres suppléants du CSE ne puissent plus assister aux réunions aux côtés des titulaires (sauf si un accord prévoit le contraire) : en termes de « formation » pour les élus novices, « c’est catastrophique ».
Le président de la CFTC, Philippe Louis, est beaucoup moins pessimiste. « Je ne pense pas que la qualité du dialogue social va y perdre », confie-t-il, même si, dans une partie – minoritaire – des entreprises, le crédit d’heures de délégation sera diminué par rapport à aujourd’hui. « C’est un gros changement dans les habitudes, il faut que les délégués s’approprient cette nouvelle organisation », conclut-il.