Levothyrox : les malades de la thyroïde s’adaptent pour éviter les effets secondaires
Levothyrox : les malades de la thyroïde s’adaptent pour éviter les effets secondaires
Par Jeanne Cavelier
Certains se sont habitués à la nouvelle formule, d’autres se fournissent à l’étranger ou prennent une autre marque. D’autres encore ont arrêté, au péril de leur santé.
Des boîtes de Levothyrox nouvelle formule et d’Euthyrox, l’ancienne formule du Levothyrox, le 2 octobre. / JACQUES DEMARTHON / AFP
« Hors de question de retrouver ces douleurs » : résidant à 20 km de la frontière allemande, Mireille se fournit désormais en Levothyrox ancienne formule outre-Rhin. Elle a un stock pour un an. Comme elle, de nombreux malades de la thyroïde ont subi de lourds effets secondaires depuis le changement de formule de ce médicament, fin mars, et cherchent d’autres solutions.
« C’était de pire en pire. J’avais l’impression qu’on m’arrachait les intestins », rapporte la sexagénaire, qui a pris la nouvelle formule durant deux mois. Les patients suivent en général un traitement à vie et, aujourd’hui, Mireille se sent en sursis :
« Je continue à vivre la peur au ventre, si jamais le pays se retrouve en rupture de stock, ou que le médicament est également modifié là-bas. »
Nouveau dosage
Problèmes intestinaux, musculaires, d’essoufflement, maux de tête… Dans son enquête de pharmacovigilance sur le Levothyrox rendue publique le 11 octobre, l’Agence nationale de sécurité nationale du médicament (ANSM) a conclu que ces effets indésirables étaient dus à « un déséquilibre thyroïdien » causé par le changement de traitement, et non à la nouvelle formule elle-même.
Sous Levothyrox depuis vingt ans, Corinne semble effectivement avoir réussi à s’adapter. Son taux de thyréostimuline (TSH), révélateur d’une hypo- ou d’une hyperthyroïdie, a pourtant été divisé par six en quatre mois, approchant la limite basse de la norme. Mais après une « immense fatigue » et des « difficultés à s’exprimer » au mois d’août, « les effets secondaires se font moins sentir ».
Même constat pour Jean, qui essaie encore de trouver un nouveau dosage approprié. Après « deux mois d’une fatigue anormale et progressive », il a arrêté puis repris du Levothyrox et effectue régulièrement des analyses.
Qualité « identique à l’ancienne » pour l’ANSM
Mais si les effets secondaires se sont estompés chez certains malades, d’autres continuent à souffrir de leurs conséquences. Christine, 50 ans, prenait du Levothyrox depuis quinze ans à la suite de l’ablation partielle de la thyroïde :
« J’ai dû arrêter la nouvelle formule car j’avais des colites horribles et permanentes. Mon ventre gonflait comme si j’étais enceinte de neuf mois. Aujourd’hui, mon estomac et ma flore intestinale sont flingués. Je ne peux plus manger normalement. »
Comme 15 000 autres personnes, elle a signalé les effets de ce « poison » sur son corps à l’ANSM. Dans sa réponse, le 13 octobre, l’agence la « rassure sur la qualité de ce médicament, qui est identique à l’ancienne ». Christine se dit « révoltée ».
Jacqueline, elle, a tenté de porter plainte à la gendarmerie de Saint-Martin-du-Var (Alpes-Maritimes) pour « tromperie sur produit ». « Mais l’agent n’a pas voulu prendre ma déposition sans l’accord du procureur, et ne m’a toujours pas rappelée depuis », dit l’enseignante-chercheuse retraitée. Pour stopper les effets secondaires – étourdissements, problèmes d’attention, diarrhées et doigts blancs –, elle a d’abord pris du Levothyrox périmé depuis 2010, sans consulter son médecin, avant d’aller se fournir en Italie :
« C’est assez simple, je suis allée à la pharmacie internationale en arrivant à la gare de Vintimille. Par contre, je ne suis pas remboursée par la Sécurité sociale, car je n’ai pas la carte européenne d’assurance maladie, mais cela ne coûte que dix euros pour cent jours de traitement. »
Gouttes de L-thyroxine
Le 2 octobre, l’ancienne formule du Levothyrox a réapparu en France, en quantité limitée, sous la pression du ministère de la santé. Mais la plupart des pharmacies furent en rupture de stock en deux jours, racontent les malades contactés. Dans le Bas-Rhin, par exemple, pour récupérer une boîte pour un mois, le patient devait présenter une ordonnance datée d’après le 15 septembre, sur laquelle était indiqué « Euthyrox », nom de l’ancienne formule du Levothyrox fabriquée par le laboratoire Merck en Allemagne.
« Les pharmacies près de chez nous n’ont pas reçu de boîtes de l’ancienne formule », rapporte Monique, 71 ans, qui habite une petite commune de la Haute-Saône. « Trois semaines après avoir débuté la nouvelle formule, j’étais fatiguée et surtout, j’ai commencé à perdre des cheveux par poignées », explique-t-elle. Ni sa pharmacie ni son médecin n’étaient au courant du changement de formule. Elle prend désormais des gouttes de L-thyroxine :
« C’est plus naturel, avec seulement de l’alcool et de l’huile de ricin, mais aussi plus contraignant. La pharmacie nous fournit le médicament dans un sac isotherme, et il faut toujours le conserver au réfrigérateur. »
Sa fille et sa belle-fille, également sous Levothyrox, ne supportaient plus les effets secondaires. « Leur médecin n’a rien voulu savoir. Elles ont décidé d’arrêter le traitement », s’inquiète Monique.
Médicaments alternatifs
Les malades de la thyroïde disposeront de « cinq médicaments différents » à partir de la « mi-novembre », a annoncé jeudi la ministre de la santé, Agnès Buzyn, devant le tollé provoqué par la multiplication des effets secondaires du nouveau Levothyrox. « Dommage qu’ils ne l’aient pas fait avant », regrette Anne-Sophie, 36 ans, « en colère » :
« Je ne suis pas bien depuis six mois. S’il y avait eu une information claire sur le changement de formule dès le début, cela m’aurait évité des consultations inutiles chez le généraliste. J’avais l’impression d’être une petite vieille, à cumuler les problèmes intestinaux et de la tachycardie. Les pharmaciens me disaient que c’était “dans ma tête” que j’étais victime “de l’hystérie collective”. »
Grâce à des informations glanées sur un forum de l’association Vivre sans thyroïde, elle se fait livrer de l’Euthyrox d’Allemagne. Peut-être pourra-t-elle désormais trouver un médicament alternatif qui lui convienne. A condition que son organisme puisse s’adapter.