Marche en mémoire de Sophie Lionnet, jeune fille au pair tuée le 20 septembre. A Londres, le 8 octobre. / NIKLAS HALLE'N / AFP

Des heures à n’en plus finir, le sentiment d’être exploitées. Début octobre, plusieurs filles au pair se sont rassemblées à Londres en mémoire de Sophie Lionnet, dont le corps a été retrouvé calciné, le 20 septembre, mais aussi pour dénoncer leurs conditions de vie.

Chaque année, ils sont plusieurs milliers – souvent des jeunes femmes – à séjourner à l’étranger par le système « au pair ». L’objectif : améliorer leurs connaissances culturelles et linguistiques. Leur travail : prendre soin des enfants d’une famille locale, tout en recevant un peu d’argent de poche et en étant nourri et logé.

Leur nombre est difficile à évaluer. Chaque agence a ses chiffres. Mais beaucoup de jeunes partent sans passer par un organisme, notamment pour éviter de payer les frais d’agence. Certains n’établissent même pas d’accord écrit sur le temps de travail ou sur la rémunération. Une situation qui conduit à des abus. Sur les réseaux sociaux, dans les groupes de Français à l’étranger comme d’étrangers en France, les témoignages abondent.

Carole Gandhilon, étudiante originaire du Val-de-Marne, a été très satisfaite de sa première expérience en Angleterre : les parents l’ont considéré comme une membre de leur famille, elle s’est occupée d’un bébé « adorable » et a reçu 80 livres (90 euros) par semaine d’argent de poche.

Sa seconde famille – rencontrée en ligne, comme la première – a été en revanche bien différente et n’a pas respecté l’accord passé ensemble. Au lieu de la grande chambre avec salle de bains promise, la jeune Française disposait d’un « placard » et de « toilettes miteuses ». Les parents la chargeaient de nombreuses tâches ménagères. « Ils ne souhaitaient pas que je sorte de la maison en journée sauf pour les courses et me demandaient de rester à la maison le week-end au cas où ils auraient besoin de moi avec les enfants. En un mot, j’étais un peu exploitée, dénonce la jeune femme. Les enfants me tapaient et m’insultaient. » Après seulement un mois, elle a décidé de partir.

« Au début, tout allait bien »

Lauryn, elle aussi partie sans contrat ni agence dans une famille anglaise, a vu sa situation se dégrader peu à peu alors qu’« au début, tout allait bien ». Un soir, sa famille d’accueil l’a réveillé à 22 h 30 pour « cirer des chaussures ». Et « plus les jours passaient plus elle me rajoutait des choses à faire » : repassage, nettoyage complet de la maison… Alors même que cela ne faisait pas partie des tâches sur lesquelles elle s’était accordée avec la famille.

En France, plusieurs jeunes femmes étrangères témoignent de ce qu’elles qualifient d’« abus » de leurs familles d’accueil. « Ils m’exploitaient, je devais m’occuper toute la journée d’un bébé et aller chercher le fils de 5 ans, et en plus faire le ménage, le repassage pour 45 euros d’argent de poche par semaine », dénonce Andrea, originaire de Barcelone. Une autre s’est retrouvée enfermée dans la maison de sa famille d’accueil, sans pouvoir en sortir.

« Je travaillais de jour et de nuit »

Lucía Pérez a vécu une situation qu’elle décrit comme un « calvaire ». Sur Internet, une famille lui proposait de travailler cinq heures par jour, quatre fois par semaine, dans sa maison « bien communiquée » aux transports en commun – en réalité un bus n’y passe qu’une fois toutes les heures et demie. Finalement, la jeune Espagnole de 22 ans enchaîne les heures sans contrat ni repos – « je travaillais de jour et de nuit » – d’autant plus qu’un des enfants est handicapé et non scolarisé. Elle a porté plainte.

Pour Sophie Hertzog, présidente de l’Union française des agences au pair, impossible de vérifier le sérieux de la famille accueillante rencontrée par Internet. « Certains pays ont d’ailleurs décidé de ne passer que par des agences, comme les Etats-Unis », explique-t-elle.

Un « accord écrit » doit exister

Mais les règles applicables au système varient et restent souvent floues. Signé par plusieurs pays européens, l’Accord sur le placement au pair de 1969 pose un premier cadre. Il spécifie que les personnes placées au pair doivent avoir entre 17 et 30 ans, recevoir nourriture et logement de la famille d’accueil avec laquelle doit exister un « accord écrit ». Ils doivent également disposer « au minimum d’une journée complète de repos par semaine, dont au moins un dimanche par mois », ne pas travailler plus de cinq heures par jour, etc.

Néanmoins, le Royaume-Uni n’est pas soumis à cet accord, contrairement à la France, où les jeunes venus de l’étranger bénéficient du statut de « stagiaire aide familial ». Un statut jugé néanmoins flou par Sophie Hertzog : « Quand ils demandent un visa, c’est un visa étudiant. Nous aimerions qu’il y ait un statut clair au sujet de ces jeunes qui viennent avant tout pour un échange culturel. »

En France, les familles accueillantes doivent cotiser et déclarer leur « stagiaire ». Mais de nombreux jeunes passent sous le radar : l’Urssaf ne dénombre que 1 700 employeurs de « stagiaires aides familiaux » en 2017. Un chiffre bien faible aux yeux des directeurs d’agence. Selon Sophie Hertzog, ils seraient entre 4 000 et 5 000 personnes.