« – Je ne me rappelle plus si c’était aussi chiant, les Tamagotchi, à l’époque.
– Peut-être, mais il n’y avait pas de smartphones dans les années 1990…
– On est quand même passés des billes à ça !
– Oh tiens, il a fait caca. »

Bienvenue dans une conférence de rédaction du site d’un grand journal d’information national dont nous ne citerons pas le nom. Un contexte optimal pour tester le Tamagotchi, ce petit animal virtuel que ressort mercredi 25 octobre Bandai, dans sa version (presque) originale, en édition limitée et au prix de 15 euros. Car, ne nous voilons pas la face : en rééditant le Tamagotchi vingt ans après sa déferlante en France, Bandai ne convoite plus tant les cartables d’écoliers que le cœur des trentenaires, avec cette bonne vieille madeleine de plastique. Après avoir envahi les cours de récré, les salles de classe et les dîners de famille, le Tamagotchi ambitionne en 2017 de squatter les réunions professionnelles, les apéros « after-work » et le lit conjugal.

Pour les moins de 25 ans qui n’auraient jamais entendu parler de ce petit objet étonnant, récapitulons. Ah d’ailleurs, ça tombe bien, on attrape Enzo, notre stagiaire de troisième, à qui on présente le bestiau. Un œuf en plastique coloré de 4 centimètres de haut, affichant un minuscule écran sur lequel s’agite une créature de pixels grossiers. « Je pense que c’est une sorte d’animal de compagnie. Quand on s’ennuie on doit l’entretenir », suggère immédiatement Enzo, qui n’a « jamais entendu parler » des Tamagotchi et qui, à première vue, trouve ça « bizarre ».

Bien joué Enzo, à part un détail pas si petit : non, l’heureux propriétaire d’un Tamagotchi ne doit pas s’en occuper quand il s’ennuie, mais quand la créature le réclame, à grand renfort de bip bip d’un autre temps. D’un bouton, il faut alors le nourrir, le coucher, le soigner ou le nettoyer – car le Tamagotchi a aussi « ses rejets », comme l’exprime poliment Enzo, qui a interprété sans difficulté les sept pixels fumants à droite de l’écran.

Nostalgie, perplexité et psychanalyse

Du haut de ses 14 ans, notre stagiaire est circonspect :

« J’ai déjà joué à ce genre de jeux quand j’avais 7 ou 8 ans, comme le chat Tom [Mon Talking Tom, sur smartphone]. Mais c’était largement mieux, on pouvait faire beaucoup plus de choses : le doucher, le mettre aux toilettes, le faire regarder la télé, jouer à des mini-jeux avec lui, lui faire avoir des émotions… et le graphisme était mieux. »

Pas découragés pour autant, nous lui refourguons l’animal virtuel préhistorique pour quelques heures. A l’issue desquelles Enzo revient un brin plus séduit, admettant, sans grand enthousiasme pour autant, qu’il « aimerait bien » en avoir un.

« Au début, à l’œil nu, tu te dis que c’est un truc nul pour enfants, et à force de l’utiliser, tu finis par trouver ça drôle et attachant. On se dit que c’est pour les grands comme pour les petits. »

Côté grands, voire adultes les bons jours, l’expérience fut singulière, entre nostalgie et perplexité, ennui et psychanalyse.

D’abord, quel plaisir de reprendre en main le charmant bidule, d’écouter chanter ses bips désuets, d’assister émerveillé à l’éclosion de l’œuf, frétillants comme au premier jour. Et quelle félicité de devenir la star de l’école – enfin, du bureau –, quand vos collègues se ruent sur le gadget, tout aussi extasiés par cet inattendu voyage dans le temps. A part que cet effet, et c’est bien là que le bât blesse, ne dépasse que rarement les vingt-huit secondes, avant que les discussions ne se recentrent naturellement vers le débrief du dernier Walking Dead ou l’organisation de la prochaine raclette.

Vous êtes plutôt Thénardier ou Doubtfire ?

Place, donc, à l’élevage de Tamagotchi. La première nuit fut un échec cuisant, relevant davantage des Thénardier que de Madame Doubtfire : l’engin fut oublié au fond d’un sac à main, et ce n’est qu’au réveil que nous nous sommes rendu compte de notre impardonnable erreur. Le jeune Tamagotchi était endormi, toutes lumières allumées, baigné dans ses excréments. Pris de panique, nous tentons délicatement de le nettoyer, sans succès. Nous devons nous résoudre à l’indicible : se lancer sans la lecture du mode d’emploi, dans le métro à l’heure de pointe.

« Quand le Tamagotchi fait caca, appuyez sur le bouton A pour le nettoyer. Vous ne pouvez pas le nettoyer si vous ne voyez pas de caca » (jusqu’ici tout va bien), « si le Tamagotchi dort » (eurêka), « ou si le Tamagotchi est en train de mourir » (ça, c’est vraiment pas sympa). Soulagés, nous parvenons enfin à nettoyer l’animal peu après son réveil avec nos gros doigts balourds – les boutons sont minuscules.

Plusieurs fois dans la journée, la créature piaillera, pour réclamer à manger, une toilette ou juste un peu d’attention. Appuyer sur un bouton ou deux suffit à chaque fois pour calmer la bestiole. Avant que celle-ci ne se fasse à nouveau entendre, à intervalles supportables – à vue d’oreille, six ou sept fois par jour.

Une version malheureusement simplifiée

Et c’est presque trop peu : avec ses actions ultra-répétitives, le Tamagotchi version 2017 est à peine divertissant. Il faut dire que Bandai a fait le choix étrange de proposer une version simplifiée de l’objet, sabrant au passage quelques fonctionnalités pouvant justifier, à l’époque, bien des addictions : le personnage, par exemple, évolue à peine, qu’on le gave ou qu’on l’affame. « Nous nous sommes dit que si nous ajoutions trop de profondeur de jeu, ce serait un peu difficile pour les gens de travailler et de s’occuper du Tamagotchi en même temps », s’est expliquée dans les colonnes du site spécialisé The Verge, Tara Badie, une représentante de Bandai.

Résultat, si Bandai s’inquiétait de notre productivité, qu’elle se rassure : le Tamagotchi ne nous aura pas volé beaucoup de temps de cerveau disponible. Et nous aura même, à notre grand regret, passablement ennuyés. Tout juste aura-t-il réussi à faire naître chez nous quelque semblant d’interrogation existentielle. Comme ce dimanche de grasse matinée perturbé par les réclamations du gadget : on décide de l’ignorer, avant que n’émerge un désagréable sentiment de culpabilité. Avant de culpabiliser de culpabiliser. Sans parler du frémissement d’horreur ressenti le lundi matin à l’arrivée au bureau, à l’idée qu’on ait pu oublier la bête chez soi, seule et abandonnée – avant de la retrouver paisible au fond du sac, inconsciente des périls qui la menacent.

D’autres humains ne s’embarrassent pas de complexes : la présence du Tamagotchi permet parfois de sonder les profondeurs de la cruauté humaine. Confiez-le à un collègue, il l’oubliera pendant sa pause dej’. Montrez-le à un ami, il le balancera de l’autre côté de la table pour « vérifier s’il pleure ». Quand certains le laisseront sciemment à l’abandon de longues heures dans le seul but de « voir ce qui se passe ». Mais après une semaine peu palpitante d’utilisation et de piaillements intempestifs, soyons honnêtes : nous aussi, on a bien envie de « voir ce qui se passe ».

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • Le retour en enfance
  • Le bidule choupi
  • Frimer au bureau (oui, « frimer », comme dans les années 1990)

On n’a pas aimé :

  • Le manque de fonctionnalités
  • Ne pas voir notre Tamagotchi évoluer
  • S’ennuyer

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous aviez entre 6 et 15 ans en 1997
  • La NES Mini, la SNES Mini, et Mega Drive Classic ne vous ont pas suffi
  • Les adorables ronronnements de Gribouille ne compensent plus sa propension à (rayez la mention inutile) : vomir sur le parquet/pisser dans le lit/faire ses griffes sur votre canapé 100 % cuir

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Les notifications de votre smartphone vous mènent au bord du burn-out
  • Vos collègues n’ont aucun sens de l’humour
  • Gribouille est du genre jaloux

La note de Pixels :

10 Tamagotchis sur chien