Journée décisive en Catalogne, menacée de perdre son autonomie
Journée décisive en Catalogne, menacée de perdre son autonomie
Par Isabelle Piquer (Barcelone, Espagne, envoyée spéciale)
Sommé par Madrid de se prononcer sur la tenue d’élections, le chef de l’exécutif n’a pas tranché, jeudi. Le Parlement devra décider, vendredi, alors que la menace de la mise sous tutelle par Madrid se rapproche.
Des partisans de l’indépendance à Barcelone le 26 octobre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Suspense, rebondissements, crises, le feuilleton catalan a vécu une nouvelle journée de grande confusion, jeudi 26 octobre. Des scènes maintes fois jouées par les gouvernements de Madrid et de Barcelone qui, malgré leurs ultimatums à répétition, ne semblent vouloir s’engager ni l’un ni l’autre dans la voie de non-retour que supposerait la mise sous tutelle de la Catalogne.
Le dénouement final devrait avoir lieu vendredi 27 octobre. A Madrid, dès 10 heures, le Sénat a prévu de débattre l’article 155 de la Constitution espagnole – il donne au gouvernement du premier ministre Mariano Rajoy le pouvoir de destituer l’exécutif catalan et de contrôler, entre autres, la police et les médias publics. Au même moment à Barcelone, le Parlement régional doit se réunir pour décider s’il va voter en faveur de l’indépendance. Les débats, et la tension, devraient durer tout l’après-midi.
Devant la presse, Carles Puigdemont déclare renoncer à dissoudre le parlement catalan comme l’exige Madrid, à Barcelone, le 26 octobre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
C’est le président catalan, Carles Puigdemont, qui a décidé de prolonger son bras de fer avec Madrid jusqu’au dernier moment. Au cours d’une journée particulièrement chaotique, et après avoir retardé puis annulé deux allocutions solennelles, il est finalement apparu devant la presse, peu après 17 heures, au siège de la Généralité (exécutif catalan) pour annoncer sa décision de ne pas convoquer des élections anticipées, car le gouvernement de M. Rajoy ne lui offrait pas « de garanties suffisantes ».
Et ce malgré la médiation de « diverses personnes », a reconnu le responsable nationaliste, notamment celles du premier secrétaire des socialistes catalans, Miquel Iceta, et, d’après la presse espagnole, du chef du gouvernement basque, Inigo Urkullu. Ils voyaient dans un scrutin régional la meilleure issue pour éviter un choc frontal avec Madrid.
Une crise aux conséquences imprévisibles
Carles Puigdemont a finalement annoncé qu’il laissait le Parlement régional se prononcer sur « les conséquences de l’application contre la Catalogne de l’article 155 » et continuer sur la voie du mandat en faveur de l’indépendance donné par les électeurs lors du référendum du 1er octobre.
C’était une manière de se délester de la responsabilité d’une rupture, même symbolique, avec l’Espagne et surtout d’éviter que sa formation, le Parti démocrate européen de Catalogne (PdeCAT), n’assume seule l’usure d’une crise aux conséquences imprévisibles. « Si nous devons tomber, toute la coalition tombera », déclare un proche du président Puigdemont.
Inès Arrimadas, députée et porte-parole de Ciutadans, parti de centre droit hostile à l’indépendance, devant le Parlement catalan, le 26 octobre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Une stratégie qui comporte des risques d’implosion pour la coalition Junts pel si (« Ensemble pour le oui »). Au sein de la majorité indépendantiste (72 députés sur 135), les sensibilités sont très diverses. Les tensions de ces derniers jours n’ont fait qu’aviver les différends entre le PdeCAT, la Gauche républicaine (ERC) du vice-président Oriol Junqueras et la Candidature d’unité populaire (CUP, extrême gauche).
Il suffit de cinq défections pour faire couler une éventuelle déclaration d’indépendance. Et certains membres de la coalition ne sont pas sûrs de vouloir aller jusqu’au bout. Plusieurs auraient fait part de leur crainte face à de possibles poursuites judiciaires.
Retournements de situation
Jeudi soir, c’est l’un des proches de M. Puigdemont, le ministre catalan chargé des entreprises, Santi Vila, qui a annoncé sa démission sur Twitter après avoir constaté que ses efforts pour le dialogue avaient « échoué ». Peu après le référendum, M. Vila avait demandé un « cessez-le-feu » et appelé à « réfléchir à l’utilité et aux conséquences » d’une déclaration d’indépendance.
A Madrid, le Parti populaire (PP) au pouvoir et les socialistes du PSOE ont essayé tant bien que mal d’opposer un front uni face aux indépendantistes. Au Sénat, la vice-présidente du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, a poursuivi la procédure préalable au vote de l’application de l’article 155 en déclarant que l’objectif était de « rétablir la légalité et le vivre ensemble », des arguments répétés par les conservateurs.
Les socialistes, quant à eux, essayent de laisser la porte ouverte à un recul de dernière minute des indépendantistes en proposant un amendement qui permettrait de tout arrêter si Barcelone se décidait finalement à convoquer des élections. « Nous sommes toujours à temps », a martelé son secrétaire d’organisation, José Luis Abalos, qui a également dénoncé « l’irresponsabilité du sécessionnisme ».
Manifestation d’étudiants qui exigent de Carles Puigdemont qu'il proclame l'indépendance, à Barcelone, le 26 octobre. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Pour les militants indépendantistes les retournements de situation de la journée de jeudi ont été particulièrement déroutants. Dans les rues de Barcelone, dès que les rumeurs de possibles élections anticipées ont commencé à circuler, des milliers d’étudiants qui avaient convoqué une grève puis une manifestation place de l’Université, sont allés jusqu’au siège de la Généralité pour crier contre le « traître » Puigdemont. Puis, un peu désorientés par la non-déclaration du président mais pleins d’énergie revendicatrice, ils sont partis jusqu’aux grilles du parc du Parlement, fermées par un important barrage policier, pour demander l’instauration de la République.
« Nous allons vivre un moment historique »
« Ce serait une lâcheté que de faire marche arrière, explique Gerard, un étudiant en physique qui sèche ses cours depuis un mois pour soutenir la sécession, « si le PdeCat n’est pas à la hauteur, il le paiera aux urnes. »
Le noyau dur de l’indépendantisme, lui, s’est déchaîné sur les réseaux sociaux. Le porte-parole de l’Assemblée nationale catalane (ANC) a parlé de « fraude » ; la CUP, quant à elle, a répété, une fois de plus, qu’elle « ne soutiendrait pas des élections ».
Toutes les organisations indépendantistes, l’ANC et Omnium, ainsi que l’Association des municipalités en faveur de l’indépendance et d’autres collectifs de la mouvance, ont appelé leurs sympathisants à se mobiliser, vendredi, dans les jardins proches du Parlement dès 10 h 30. L’ANC leur a même conseillé d’amener de l’eau et des sandwiches en prévision d’une journée qui s’annonce longue.
« Nous allons vivre un moment historique », a déclaré le porte-parole de l’ANC, Agusti Alcoberro, celui que les militants n’ont pas pu vivre, le 10 octobre, sur cette même place, lorsque M. Puigdemont a annoncé puis suspendu la déclaration d’indépendance. Venus célébrer la République, ils étaient repartis chez eux déçus et découragés.